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CIA & Trump à contremploi ?

Ce texte de Robert Parry nous paraît du plus grand intérêt, car il bouleverserait absolument toute la perception que l’on peut avoir de la décision de Trump d’attaquer la Syrie. Bien entendu, on prendra ses affirmations d’ailleurs extrêmement prudentes pour leur accorder le crédit qu’elles méritent. Il n’empêche qu’il y a beaucoup d’arguments en sa faveur, qui valent bien les affirmations enfiévrées que nous lisons partout, dans un sens ou l’autre, sans autre fondement que la fièvre de leurs auteurs : Parry est un journaliste connu pour son sérieux et ses très nombreuses sources dans les milieux politique et du renseignement à Washington ; c’est un professionnel rigoureux, qui travaille avec méthode, et avec toutes les précautions requises ; ses sources sont sûres, il les évalue constamment, éventuellement il les recoupe, etc. Enfin, et pour compléter l’arrière-plan de ce commentaire, on signalera que Parry a été dès le premier jour un adversaire de Trump, parce qu’il se situe plutôt au centre-gauche comme démocrate, sans pourtant jamais épouser la cause d’Hillary Clinton, parce qu’il est un antiguerre déclaré et sans compromis.

Qui plus est, dans son texte Parry nous explique les hésitations qu’il a connues avant d’envisager de prendre pour éventuellement crédibles les informations qu’on lui donnait. Il nous explique qu’il est finalement arrivé à la conclusion, par divers recoupements, que ces informations avaient certainement assez de crédibilité pour au moins être prises en compte aussi bien que nombre d’autres spéculations, et beaucoup plus qu’un plus grand nombre encore d’affirmations échevelées auxquelles on se heurte sous la plume d’innombrables messies et prédicateurs. Que nous dit Parry, selon ce que sa source lui a communiqué ? En gros, ceci :

• Contrairement à ce qui est supposé, la CIA, qu’on présente d’habitude comme un des acteurs principaux du Deep State devant pousser Trump à suivre la politiqueSystème systématique qui tient lieu de politique de sécurité nationale au profit du Système, n’a nullement été l’une des chevilles ouvrières de la décision d’attaquer en Syrie. Au contraire, le directeur de la CIA Mike Pompeo ainsi que le DNI (Director of National Intelligence) Dan Coats auraient communiqué au président leurs appréciations sur l’attaque au gaz de Iblid, Pompeo ayant personnellement briefé Trump pour lui dire que, selon l’Agence, Assad n’était probablement pas l’instigateur ni le coupable de l’attaque chimique. La source de Parry a poursuivi en précisant que Trump avait rejeté cette conclusion et ne l’avait pas communiquée aux autres membres de son groupe de crise chargé de déterminer la décision que le président prendrait d’attaquer ou non en Syrie.

Parry a d’abord écarté cette information, supposant une mauvaise interprétation de sa source tant il lui paraissait improbable et incroyable que les deux acteurs, – la CIA et le président, – aient joué ainsi un jeu aussi complètement à contremploi et à front renversé du point de vue de la politique de sécurité nationale, par rapport à leurs rapports exacerbés pendant la campagne USA-2016 et après la victoire de Trump. La CIA (mais alors avec le directeur Brennan, brute épaisse et personnage douteux) voulait contraindra Trump, presqu’avec un “coup d’État silencieux”, à affirmer une politique agressive et belliciste conforme à l’orientation générale et aux exigences de ce qu’on nomme le Deep State. Bien entendu, il allait de soi que Trump s’opposait à cela, – ou bien, quoi ?

• Pourtant, Parry se trouva confronté à une incertitude accrue lorsqu’il vit la “photo de famille”, imitée de celle de la “bande à Obama” regardant en 2011, sur le réseau interne, les images de l’attaque et de la liquidation de ben Laden, – qui pourrait aussi bien être de ces hoax-false flag vrais ou faux dont nous sommes abreuvés par ces temps de post-Vérité. Surprise, surprise : sur la “photo de famille” de la “bande à Trump” observant le fascinant spectacle des tirs de Tomahawk à partir des deux frégates lance-missiles de l’US Navy, impossible de voir, ni le directeur de la CIA, ni le DNI, alors qu’en 2011 Leon Panetta, patron de la CIA, était évidemment parmi les spectateurs. Étrange, étrange, se dit Parry, qu’il n’y ait aucun représentant de l’Intelligence Community (IC) dans cette digne assemblée représentant l’état-major de la communauté de sécurité nationale et du Deep State. Même le New York Times, pourtant le plus digne représentant de la “ligne du parti” et de l’interventionnisme tous azimut remarqua cela (« Even The New York Times noted the oddity in its Saturday editions, writing: “If there were C.I.A. and other intelligence briefers around, … they are not in the picture” »).

Alors, Parry commence à douter. Il note que Tillerson, complètement novice en la matière, dit à sa conférence de presse que l’IC a confirmé avant le tir des Tomahawk la responsabilité de Assad dans l’attaque chimique, ce qui est tout simplement impossible à réaliser en 24 heures. Conclusion de Parry, reconstituant hypothétiquement le circuit : l’appréciation de la CIA est bien venue directement à Trump, qui l’a gardée pour lui et a affirmé à toute son équipe que la CIA lui avait affirmé directement la confirmation de la responsabilité d’Assad alors que Pompeo avait dit le contraire.

Parry ne conclut pas d’une façon impérative mais, tout de même, il se demande si sa source n’a pas vu juste et si Trump n’a pas joué son jeu perso, trompant d’une part Pompeo, d’autre part son équipe de sécurité nationale, pour forcer à un soutien unanime pour sa décision d’attaquer : « Cela me conduit à me demander si ma source initiale n’était pas effectivement sur un gros coup. L’affirmation conduisait à comprendre que le directeur de la CIA Pompeo avait bien briefé Trump dans le sens que ses services concluaient que les forces d’Assad n’étaient pas responsables, mais, – en mettant Pompeo hors-jeu, – Trump répandit sa propre version des services de renseignement à son équipe personnelle [affirmant le contraire] … »

Drôle de jeu de la part du président populiste, antiguerre, “America-Firster”, voulant la paix avec tout le monde et bannissant l’immonde politique de regime change. Pourquoi Trump a-t-il fait cela, pourquoi a-t-il voulu cette attaque, en doublant et en manipulant la CIA elle-même ? Pour Parry, la réponse est évidente : pour pouvoir faire un coup (l’attaque contre la Syrie) qui fasse cesser la pression du War Partyneocons & Cie, contre lui, faire disparaître ce soupçon d’être une “marionnette de Poutine”, et retrouver une popularité à bon compte (une attaque contre la Syrie, l’illégalité la plus complète, des morts et des destructions, l’aggravation des relations avec la Russie, le risque maximal de l’extension de la guerre, – voilà son “bon compte”).

Pour notre compte à nous, nous dirions que l’argument vaut en partie, d’une façon occasionnelle quoique non négligeable, mais qu’il n’est pas l’origine de tout ; nous penserions plutôt, avec des remarques lues ici et là et montrant l’obsession de Trump pour la chose durant la journée précédant la décision de l’attaque, que Trump fut effectivement très touché émotivement par les quelques photos de bébés et de très jeunes enfants morts, et qu’à partir de là il résolut de punir Assad… Aucune interrogation sur la provenance de ces photos, leur véritable représentation et tout ce qui va avec…  (Il y a assez de milliers de bébés tués par l’action des forces US ces dernière années pour avoir une réserve de telles photos.) Le fait qu’on ne puisse écarter cette hypothèse pour expliquer l’action de Trump est infiniment plus effrayante que toute hypothèse sur des pressions politiques ou d’autres manœuvres de ce type ayant fait céder Trump. On se trouve alors devant la perspective d’un caractère incapable de résister à la sensiblerie la plus primaire, versant dans un affectivisme totalement inconscient et, à la différence de l’affectivisme (le postmoderne) que nous définissons avec une orientation idéologique affirmée (postmoderne justement), complètement soumis à des changements d’orientation complètement imprévisibles. (Trump pleure sur les beautiful babies, des “bébés de Dieu” victimes d’Assad, comme il pleurait sur les “Deplorable” de la classe moyenne US durant sa campagne.)

L’hypothèse Parry, aussi structurée qu’elle apparaît, ouvre des perspectives particulièrement originales et inquiétantes ; non pas qu’elle permet de faire passer Trump de telle étiquette à telle étiquette, ce qui est le rêve de tous les commentateurs avides de reconnaissance de leur vision extra-lucide, mais de façon bien différente parce qu’elle nous plonge dans l’univers de l’absolue incertitude et de la plus complète imprévisibilité. Si Trump est bien cet homme qui réagit d’abord sur impulsions, et ensuite manœuvre pour donner à ses impulsions une vertu de nécessité opérationnelle, alors nous nous trouvons dans une situation complètement inédite.

Cela rejoint en partie un constat de Adam Gurrie, de TheDuran.com (à la suite de Mercouris, son éditeur, ce site a pris aussi rapidement que le changement de Trump une attitude antitrumpiste décidée)… Gurrie met en évidence l’émotivité de Trump (son affectivisme d’une catégorie inclassable). Voici un extrait :

« By contrast [with Obama], Donald Trump struck both his supporters and his opponents as someone guided by instinct and emotion. The fact that his instincts seemed to be indelibly in favour of peace and non-intervention made many people come to embrace Trump’s message. It seems though that something in Washington was able to turn his emotions against his own apparent and professed instinct; from those in favour of non-intervention to those in favour of war.

» If a few  deeply suspicious and likely inauthentic photos from the fraudulent White Helmets was all it took to totally transform Donald Trump’s foreign policy, then things could get much worse very soon. There is always a chance that Trump took a calculated risk in bombing Syria. He may have simply wanted to get his domestic opposition off his back by throwing them a considerably large bone. In that case mission accomplished.

» That being said, the deep state will almost certainly want more than a single, poorly executed attack and perhaps they will get it. The deep state have found a way to bend Trump and they may soon break him. »

L’analyse psychologique de Gurrie est bonne, mais par contre nous serons moins d’accord avec la conclusion qui présente Trump comme prisonnier du Deep State. De façon très différente, si l’on considère l’hypothèse de Parry qui est tout de même extrêmement solide comme on l’a vu, il s’agit d’un Trump réagissant effectivement d’une manière affective, ce qui implique qu’il peut réagir dans tous les sens. Aujourd’hui, il paraît “récupéré” par le Deep State mais il s’agit d’une acquisition aussi incertaine qu’elle s’est révélée être pour les partisans du non-interventionnisme. Trump à la tête des USA, ce n’est nullement telle ou telle politique assurée, c’est l’incapacité de prévoir quelle attitude Trump adoptera demain vis-à-vis de telle ou telle question. Certains jugent que l’épisode syrien a montré l’extrême faiblesse de Trump par rapport aux influences qui s’exercent sur lui ; l’hypothèse de Parry, qui montre Trump mettant dans sa poche la CIA (pilier du Deep State), montre par la même occasion l’irresponsabilité par inconséquence de Trump bien plus que sa faiblesse par rapport aux influences, – et l’irresponsabilité par inconséquence est aussi bien la force des fous. Selon cette possibilité qu’offre l’hypothèse de Parry, Trump est un président totalement et définitivement imprévisible, un homme sans politique et un homme de toutes les politiques ; le président du désordre pur… (Le désordre pur à Washington D.C. n’est pas nécessairement pour nous déplaire.)

Cela n’est pas notre thèse car nous n’avons absolument pas l’intention d’entretenir une thèse à cet égard pour devoir perdre notre temps à nous en justifier, souvent pour des petites vanités personnelles, à chaque événement. C’est simplement un élément de plus ajouté au dossier déjà chargé du président Trump, qui le place comme un facteur insaisissable en constant aller-retour potentiel entre Système et antiSystème : effectivement facteur de désordre pur, mais placé à la tête d’un pouvoir qui demande une certaine stabilité d’orientation pour mieux déterminer son attitude vis-à-vis de lui, c’est-à-dire le contraire du désordre. Si Trump se montrait constamment antiSystème comme nous pouvions l’attendre, le Système agirait massivement contre lui et nous aurions une lutte franche, comme affectionne le Système ; si Trump se montre au contraire comme le laisse entendre les diverses analyses qu’on a montées ci-dessus, alors c’est l’incontrôlabilité et l’imprévisibilité, ditto le désordre, chose horrible pour le Système lorsqu’il s’agit du président des États-Unis. Dans tous les cas, nous admirons beaucoup ceux qui sont capables de tracer les lignes de notre destin pour les prochains mois, sinon pour les prochaines semaines, à partir de l’invraisemblable sac de nœuds que nous ont offert ces derniers jours.

DDE

Voici donc le texte de Robert Parry, venu de ConsortiumNews du 8 avril 2017

Where Was CIA’s Pompeo on Syria?

There is a dark mystery behind the White House-released photo showing President Trump and more than a dozen advisers meeting at his estate in Mar-a-Lago after his decision to strike Syria with Tomahawk missiles: Where are CIA Director Mike Pompeo and other top intelligence officials?

Before the photo was released on Friday, a source told me that Pompeo had personally briefed Trump on April 6 about the CIA’s belief that Syrian President Bashar al-Assad was likely not responsible for the lethal poison-gas incident in northern Syria two days earlier — and thus Pompeo was excluded from the larger meeting as Trump reached a contrary decision.

At the time, I found the information dubious since Trump, Secretary of State Rex Tillerson and other senior U.S. officials were declaring quite confidently that Assad was at fault. Given that apparent confidence, I assumed that Pompeo and the CIA must have signed off on the conclusion of Assad’s guilt even though I knew that some U.S. intelligence analysts had contrary opinions, that they viewed the incident as either an accidental release of chemicals or an intentional ploy by Al Qaeda rebels to sucker the U.S. into attacking Syria.

As strange as the Trump administration has been in its early months, it was hard for me to believe that Trump would have listened to the CIA’s views and then shooed the director away from the larger meeting before launching a military strike against a country not threatening America.

After the strike against Syria by 59 Tomahawk missiles, which Syrian officials said killed seven people including four children, Trump gave a speech to the American people declaring flatly:

On Tuesday, Syrian dictator Bashar al-Assad launched a horrible chemical weapons attack on innocent civilians. Using a deadly nerve agent, Assad choked out the lives of helpless men, women, and children. It was a slow and brutal death for so many. Even beautiful babies were cruelly murdered in this very barbaric attack. No child of God should ever suffer such horror.”

As much as Trump stood to benefit politically by acting aggressively in attacking Syria — and thus winning praise even from his harshest critics — the idea that he would ignore the views of the U.S. intelligence community on an issue of war or peace was something that I found hard to believe.

So, I put aside what I had heard from the source about the discordant Pompeo-Trump meeting as the sort of tidbit that may come from someone who lacks first-hand knowledge and doesn’t get all the details right.

After all, in almost every similar situation that I had covered over decades, the CIA Director or the Director of National Intelligence has played a prominent role in decisions that depend heavily on the intelligence community’s assessments and actions.

For instance, in the famous photo of President Obama and his team waiting out the results of the 2011 raid to kill Al Qaeda leader Osama bin Laden, CIA Director Leon Panetta is the one on the conference screen that everyone is looking at.

Even when the U.S. government is presenting false information, such as Secretary of State Colin Powell’s 2003 speech laying out the bogus evidence of Iraq hiding WMDs, CIA Director George Tenet was seated behind Powell to lend credibility to the falsehoods.

At the Table

But in the photo of Trump and his advisers, no one from the intelligence community is in the frame. You see Trump, Secretary of State Tillerson, National Security Adviser H.R. McMaster, White House chief of staff Reince Priebus, strategic adviser Steve Bannon, son-in-law Jared Kushner and a variety of other officials, including some economic advisers who were at Mar-a-Lago in Florida for the meeting with Chinese President Xi Jinping.

However, you don’t see Pompeo or Director of National Intelligence Dan Coats or any other intelligence official. Even The New York Times noted the oddity in its Saturday editions, writing: “If there were C.I.A. and other intelligence briefers around, … they are not in the picture.”

That made me wonder whether perhaps my original source did know something. The claim was that CIA Director Pompeo had briefed Trump personally on the analysts’ assessment that Assad’s forces were not responsible, but – then with Pompeo sidelined – Trump conveyed his own version of the intelligence to his senior staff.

In other words, the other officials didn’t get the direct word from Pompeo but rather received a second-hand account from the President, the source said. Did Trump choose to rely on the smug certainty from the TV shows and the mainstream news media that Assad was guilty, rather than the contrary view of U.S. intelligence analysts?

After the attack, Secretary of State Tillerson, who is not an institutional intelligence official and has little experience with the subtleties of intelligence, was the one to claim that the U.S. intelligence community assessed with a “high degree of confidence” that the Syrian government had dropped a poison gas bomb on civilians in Idlib province.

While Tillerson’s comment meshed with Official Washington’s hastily formed groupthink of Assad’s guilt, it is hard to believe that CIA analysts would have settled on such a firm conclusion so quickly, especially given the remote location of the incident and the fact that the initial information was coming from pro-rebel (or Al Qaeda) sources.

Thus, a serious question arises whether President Trump did receive that “high degree of confidence” assessment from the intelligence community or whether he shunted Pompeo aside to eliminate an obstacle to his desire to launch the April 6 rocket attack.

If so, such a dangerous deception more than anything else we’ve seen in the first two-plus months of the Trump administration would be grounds for impeachment – ignoring the opinion of the U.S. intelligence community so the President could carry out a politically popular (albeit illegal) missile strike that killed Syrians.

Robert Parry

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