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Le CentCom et l’“effet-S400”

 Le général de l’US Army Votel, actuel chef à quatre étoiles du Central Command (CentCom), nous paraît être un personnage qui correspond parfaitement à l’esprit de son temps ; c’est-à-dire un temps où CentCom en prend parfaitement à son aise pour conduire sa propre politique dont il vient présenter l’habillage de convention correspondant aux normes de la soi-disant “chaîne de commandement“ de l’administration, au Congrès qui ne demande qu’à gober les couleuvres qu’on lui présente. Votel est fortement “soupçonné”, dans les hypothèses diverses, d’activer une politique militaire d’agression à peine dissimulée contre des forces gouvernementales et para-russes, au cours de récentes attaques dites “de légitime défense”, – cela conduisant à reconnaître, par exemple selon l’analyse d’Elijah J. Magnier, à transformer la Syrie en affrontement entre les USA et la Russie, – ce qui est complètement notre analyse.

Votel déposait mardi 27 février devant la commission des forces armées de la Chambre (HASC) à propos de la situation dans la zone que couvre son commandement, du Pakistan à l’Égypte, à l’Iran et à l’Arabie. C’est donc lui qui s’occupe des opérations soi-disant anti-Daesh, notamment en Syrie et en Irak, et qui ravitaille et soutient Daesh et tous les autres groupes terroristes affiliés dans la même zone. Cette sorte de contradiction ne doit pas inquiéter parce qu’il s’agit à la fois d’une façon d’être et d’une façon de faire. De même doit-on se garder de tout signe d’incompréhension lorsque, dans le même témoignage, Votel dit que la Russie est incapable d’influer en quoi que ce soit sur la situation en Syrie (à cause de la faiblesse immanente à ce failed state en décomposition qu’est la Russie), et qu’il ajoute quelques minutes plus tard que la Russie est le principal et formidable acteur de la déstabilisation en Syrie (à cause de la force immanente à ce rogue state brutal et furieux qu’est la Russie) … Comme l’observe RT dans son habituel exercice “faiseur de FakeNews” :

« …Pourtant, au cours de la même audience, [Votel] a soutenu à un moment que la Russie “doit admettre qu’elle n’est pas capable ou qu’elle ne veut pas jouer un rôle dans la fin du conflit syrien”, et à un autre moment que le rôle de Moscou en Syrie est “incroyablement déstabilisant”. Aucune explication n’a été fournie pour donner quelque sens que ce soit à cette contradiction. »

De toutes les façons chez les parlementaires du Congrès, tout le monde s’en fout et boit goulûment, comme du petit lait, toutes les annonces triomphales et terrorisées sur le rôle de la Russie du général Votel, confirmant selon leur point de vue qu’à “Washington D.C.-la-folle” on n’est pas si fou. Personne n’a demandé d’explications à Votel sur les diverses attaques US qui ont touché les forces du régime Assad et les forces paramilitaires russes.

Quant à nous, nous relèverons une déclaration de Votel, précise et qui nous semble, elle, témoigner d’une vérité-de-situation dans la perception et l’analyse de CENTCOM : « L’augmentation des systèmes de missiles sol-air russes dans la région menace notre accès et notre capacité à dominer l’espace aérien. » Votel reconnaît ainsi que les USA sont menacés de perdre la domination de l’espace aérien dans la région.

L’“ami” turc et le S-400

On sait bien à quoi pense Votel, – aux « capacités russes en matière de défense aérienne et la création d’une quasi-zone de contrôle de l’espace aérien (dite Anti-Access/Area Denial [A2/AD]) » en Syrie et dans l’essentiel du Moyen-Orient. Alors qu’en 2016, on parlait du «  S300V4 Antey-2500 aux nouvelles capacités très avancées », aujourd’hui l’on parle essentiellement du S-400 qui est de la même catégorie de portée et de sophistication. Ces missiles S-300/S-400 /S-500 sont ceux qui verrouillent les limites extrêmes de la zone dite A2/AD et, dans cette famille, le S-400 a incontestablement la vedette aujourd’hui dans les canaux du système de la communication. La cause, outre les inquiétudes du général Votel pour la zone de son commandement, se trouve dans la vogue actuelle de commande à l’exportation de la chose, que les USA veulent bloquer par tous les moyens, mais essentiellement par leurs pratiques de banditisme et de piratage que l’on nomme dans les milieux bien élevés “sanctions”. Ainsi la tortueuse inquiétude du général Votel passe-t-elle du plan opérationnel proche au plan diplomatique global, mais il est toujours question de la menace russe contre l’hégémonie américaniste.

Parmi ces acheteurs potentiels et même d’ores et déjà enregistrés du S-400, il y a essentiellement la Turquie. La transaction, dont on comprend évidemment combien elle est éminemment politique, est déjà très largement avancée. WSWS.org rapporte à cet égard, le 28 février 2018 :

« La porte-parole du département d’Etat américain, Heather Neuert, a déclaré jeudi que Washington avait contacté de nombreux pays pour expliquer l’importance de la loi américaine sur la “riposte contre les adversaires de l’Amérique par le moyen des sanctions” (CAATSA pour Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act) et quelles seraient les conséquences possibles de ces accords avec Moscou, — avertissement avant tout à l’intention de la Turquie, qui est en train d’acheter les systèmes sol-air S-400 fabriqués en Russie. Le 30 janvier, l’administration Trump avait publié une liste de politiciens russes, d’oligarques et d’entreprises frappés de sanctions sur la base du CAATSA et avait annoncé qu’elle interdirait les ventes d’armes américaines à tout pays faisant affaire avec des entreprises russes interdites. Rosoboronexport OJSC, le producteur de S-400, est inclus dans la liste des firmes russes interdites par Washington

 Plus tôt ce mois-ci, le président du Comité de défense du Conseil de la Fédération de Russie, le colonel général Viktor Bondarev, a annoncé que la Syrie, l’Irak, le Soudan et l’Égypte étaient des clients potentiels des systèmes de défense S-400. En décembre, Ankara a signé un accord pour l’achat de missiles S-400 en provenance de Russie, malgré les inquiétudes et les critiques de ses alliés de l’OTAN.

 Les Etats-Unis ont déjà appelé la Turquie à reconsidérer les “conséquences possibles” de sa décision d’acheter le système S-400, tout en proposant de trouver un moyen de renforcer les capacités de défense aérienne turque comme alternative à l’accord russe. La Turquie sera le premier pays membre de l’OTAN à acquérir le système russe S-400, que Moscou n’a jusqu’ici vendu qu’à la Chine et à l’Inde.

 Cependant, le gouvernement turc continue d’ignorer la menace de sanctions de Washington. Hier [27 février], le quotidien pro-gouvernemental turc Sabah a cité les propos du vice-Premier ministre turc Fikri Isik: “Lorsque les Etats-Unis incluent la société vendant le système S-400 dans sa liste de sanctions, il est possible que la Turquie soit indirectement touchée. Cependant, ils ne peuvent pas imposer de sanctions directes contre la Turquie.” »

L’“ami” irakien et le S-400

Autre exercice de menaces américanistes, contre l’Irak cette fois, qui pense aux S-400 après que ce pays ait acheté, — déjà une trahison insupportable, – des chars T-90 russes au lieu des élégants et superbes M1A1 Abrams. Il est en effet question de l’Irak, des S-400 et des sanctions CAATSA lors d’une des conférences de presse quotidienne du département d’État, le 25 février 2018 de la très-pin-up Heather Neuert, la porte-parole.

(La conférence de presse est évoquée dans le texte ci-dessus de WSWS.org : ce qu’il nous importe, c’est d’observer la dialectique enveloppante qui habille les menaces de sanctions lancées contre les pays “amis” et néanmoins candidats à l’achat de S-400, en retournant la responsabilité contre les “amis” – c’est vous-mêmes qui vous mettez en contravention avec notre loi, – sous-entendu mais bien compris : puisque notre loi, en venant de nous, devient nécessairement une loi universelle.)

Question : […] « L’Irak a récemment reçu des chars russes, des chars T-90, et il envisage d’acheter le système de défense antiaérienne S-400. Quel est votre commentaire à ce sujet et est-ce que ces transactions rendraient l’Irak vulnérable aux sanctions du CAATSA ? »

Heather Neuert : « Tout d’abord, nous communiquons avec les gouvernements du monde entier, comme l’Irak et d’autres, à propos de la loi CAATSA, et sensibilisons ces gouvernements sur la façon dont ils pourraient aller à l’encontre de la loi CAATSA et des répercussions potentielles comme résutats. Nous avons donc clairement fait comprendre à tous ceux – tous ces nombreux pays avec lesquels nous travaillons – le sens de notre nouvelle loi. Voilà ce qui doit être compris, – je veux juste être claire à ce sujet.

 D’autre part, je sais pas si cet accord dont vous parlez est un accord conclu ou non, alors je ne vais pas spéculer à propos de ce que cela pourrait être, mais je peux juste vous dire que nous parlons clairement à nos partenaires et à nos alliés [des possibles conséquences]. »

Question : « Donc, il semble que, d’après ce que vous dites, si cet accord S-400 devait aller de l’avant et être conclu, ils pourraient être en violation de CAATSA ? »

Heather Neuert : « Écoutez, c’est une hypothèse, mais nous avons clairement indiqué aux pays du monde entier que c’est notre loi, que c’est ce qui pourrait amener chaque pays, chaque gouvernement à enfreindre notre loi, et les pays doivent alors faire un choix [en fonction de ce fait]. »

CAATSA contre S-400

On observera qu’au travers de ce labyrinthe de désordre juridique et bureaucratique, on retrouve la constance de la défense des intérêts industriels et géopolitiques des USA. La lutte entrepris par les bureaucrates juristes grâce à CAATSA rejoint évidemment les préoccupations du général Votel puisqu’il s’agit de tenter à tous prix de restreindre le champ d’action, aussi bien des ventes de S-400 (comme d’autres armes russes) que du S-400 lui-même en tant que missile sol-air. Nous ne dirions certainement pas que toute l’affaire CAATSA a été déclenchée à cause du S-400 et des craintes du général Votel, – une telle coordination ne fait certainement pas partie des habitudes de la bureaucratie US, – mais nous dirions que les choses se mettent bien ensemble pour que les deux cas, l’un incluant l’autre, soient plaidés de concert quoique “comme si de rien n’était”.

(On notera encore que dans un texte du 3 mars 2018 dans Strategic-culture.org, Alex Gorka fait cette remarque : « A la fin janvier, le Qatar annonçait son intention d’acquérir le S-400. Il affirmait que les négociations avaient atteint un stade avancé. Cette décision fut complètement renversée en quelques jours. Le 1er février, le ministre des affaires étrangères du Qatar Mohammed ben Abdulrahman Al Thani annonçait que son pays honorerait les sanctions US, qui incluait l’abandon du marché des S-400. L’annonce fut faite directement depuis Washington. »)

Il ne fait aucun doute dans l’esprit soupçonneux des dirigeants US, des généraux, des bureaucrates, etc., que des pays comme la Turquie et l’Irak sont nécessairement suspects, et qu’équipés de S-400 ils peuvent devenir des jouets dans les mains des Russes et avec ces missiles se trouver intégrés dans le système général A2/AD que les Russes ont implanté en Syrie et ne cessent de tenter d’élargir. Pour Central Command et le général Votel, c’est là que se situe la menace, et une menace renforcée avec les choix turc et irakien : qui perd la “domination aérienne” perd nécessairement les moyens de l’hégémonie que les USA pensent encore exercer sur la région, – ou, dans tous les cas, une hégémonie qu’ils jugent leur revenir de droit alors qu’elle s’effrite à une très grande rapidité.

Mystique de l’Air Dominance

La question de la “domination aérienne”, ex-“supériorité aérienne”, marque pour les USA l’importance de la puissance aérienne et le rôle capital qu’elle joue dans l’activité de la guerre. Sur l’Air Dominance, nous avions déjà écrit une analyse le 12 décembre 2008, à partir d’un article dans le même numéro de décembre 2008 d’Air Force Magazine (AFM) (*) de Rebecca Grant, alors experte directrice du Mitchell Institute extrêmement proche de l’USAF mais qui s’est équipée d’une jolie étiquette d’“indépendante”. Grant prenait comme argument de son analyse de fond la querelle alors en cours entre partisans du F-22 et partisans du F-35. (Les premiers prônaient l’abandon du F-35, déjà dans des difficultés indescriptibles, un contingent supplémentaire de F-22, – de 187 à 250/300 unités, – et un renforcement important avec des commandes de versions modernisées d’“avions-aluminium”, des F-15 et des F-16, en même temps que le lancement d’une étude pour un nouvel avion de combat ; les partisans du F-35 restait sur les plans initiaux du “tout-F-35”.). Au travers du débat sur la question du F-22versus le F-35 qu’elle jugeait capitale dans la mesure où elle déterminait la possibilité de l’accélération d’une tendance vers l’impuissance de la décadence où se trouvait l’USAF, – si la voie du “tout-F-35” était poursuivie, – Rebecca Grant développait une description du concept d’“air dominance” permettant d’en saisir toute l’importance

« La question de l’“air dominance” n’est pas rien. Le complet contrôle opérationnel des cieux dans toute situation de tension et de guerre est le premier théorème de la puissance américaniste. Il l’est plus encore plus que le contrôle des mers qui est l’autre aspect de la puissance de ce “pays-continent” (selon Raymond Aron), qui structure sa vision du monde sur une géopolitique navale. L’“air dominance” détermine toutes les autres parce qu’elle implique le contrôle de la dimension par où, selon les conceptions modernes et les réalités opérationnelles de la guerre, l’essentiel des menaces survient. Le contrôle des mers dépend de l’“air dominance”. Si l’U.S. Navy assure qu’elle contrôle son propre espace aérien et donc le contrôle des mers, elle ne peut nier que cela soit rendu possible par cette dimension supérieure, de type stratégique et global, de l’“air dominance” où l’USAF joue le rôle essentiel. Le contrôle aérien de l’U.S. Navy est local ou régional tandis que l’“air dominance” assurée par l’USAF est global. On dira de l’“air dominance” qu’il est le facteur opérationnel ontologique d’une puissance US qui est, par essence, expéditionnaire (“projection de forces”), et expéditionnaire essentiellement par le ciel, ou avec un ciel contrôlé par elle.

» Rebecca Grant définit ainsi l’“air dominance”, en prenant soin de mettre en évidence combien cette notion est centrale pour la capacité d’effectuer des missions qui n’ont rien à voir avec les capacités conventionnelles de l’USAF, et tout avec les conflits actuellement en cours ”Qu’est-ce que c’est que l’‘air dominance’ ? Bien que l’expression elle-même ait été forgée dans la période post-Guerre froide, la phrase désigne un concept qui est le pilier central de ce que l’Air Force est pour la nation. Essentiellement, l’‘air dominance” est fondée sur la capacité de l’Air Force de supprimer toutes les défenses pour ouvrir la voie à une attaque à partir de l’air contre n’importe quel objectif.

» Ce que l’‘air dominance’ a signifié dans les années récentes, c’est la capacité de dominer tous les cieux de façon à ce que tous les autres types d’opérations et d’attaques aériennes puissent avoir lieu au mieux de leur efficacité. Larguer des provisions avec une précision coordonnée en Afghanistan dépend de l’‘air dominance’. Même chose pour une mission de reconnaissance par infra-rouges d’un F-16 chargé de contrôler une route en Irak.” »

Plus loin, nous cherchions à définir ce que signifiait ce concept de “domination aérienne” dans le cadre plus large des USA de l’après-Guerre froide. Malgré que ce concept désignât, selon Grant, la même chose que l’expression “supériorité aérienne” qu’il remplaçait (la définition qu’en donne Grant est opérationnellement strictement identique), il intégrait un changement psychologique fondamental qui affectait les USA, après la Guerre froide et l’accident dramatique qui suivit et fit craindre le pire, la fameuse (ou plutôt : officiellement ignorée) “crise d’identité” des USA que William Pfaff avait identifiée. Effectivement, comme le signale Grant, le changement de formules, – “domination aérienne” au lieu de “supériorité aérienne”, – pour désigner le but de la guerre aérienne US est récent, datant de la période post-Guerre froide (années 1990), et il a pris ainsi une dimension symbolique de véritable “doctrine” de politique hégémonique pour les USA. Il n’est plus question de “compétition” (“supériorité”) mais de puissance hégémonique acquise (“domination”).

Le concept de “domination arienne” pris dans ce sens annonçait, avec l’entrée dans le virtualisme-narrativiste, l’hystérie hégémonique des USA, devenue “hyperpuissance“ (Védrine) à partir de 1996-1997, puis entité du type parfaitement identifiée de l’absolue domination de 2001-2002 : « Nous sommes un empire désormais, et lorsque nous agissons nous créons notre propre réalité. » L’USAF présentait dans son évolution conceptuelle le basculement des USA vers le vertige de l’hégémonie globale.

Au contraire, le drame que rapportait Rebecca Grant une décennie plus tard, à la fin 2008, avec la querelle entre partisans du F-22 et partisans du F-35 marquant l’impasse opérationnelle où s’était engagée l’USAF, n’était rien d’autre que la mise en question radicale, jusqu’à la menace de néantissement, du concept de “domination aérienne” en fonction des moyens dont l’USAF s’était dotée.

« L’aventure de la quête pour l’“air dominance” de l’USAF est évidemment une image absolument fidèle du destin des USA. C’est l’image d’une crise latente devenue catastrophique, d’un déclin transformé en course irrésistible vers la chute. Ce n’est pas seulement le concept de l’“air dominance” qui est en train de s’évanouir dans le fracas de la polémique entre le F-22 et le F-35, c’est la structure même de la puissance aérienne US qui est menacée. Selon l’habitude américaniste qui interdit d’envisager autre chose que le plus développée en matière de puissance, il n’existe aucune situation d’alternative au programme global de l’“air dominance”. Par exemple, il n’existe aucun projet réel de coopération avec d’autres puissances, ni d’ailleurs aucune capacité réelle de le faire de la part des USA, – sans parler de la capacité psychologique de coopérer, qui semble interdit par décret du Ciel à la psychologie américaniste.

» Il n’existe aucune perspective entre la réussite irrésistible du projet (l’“air dominance”) et le désordre ; le choix entre le “Wild Blue Yonder” de la mystique américaniste et le trou noir de la crise, précédé de la bouteille à encre. La querelle entre le F-22 et le F-35 montre sur quelle voie nous nous trouvons. »

Inutile de s’attarder à l’aspect strictement opérationnel de la querelle F-22 versus F-35 de 2008-2009 car c’est raisonner dans le vide (“pédaler dans la semoule”, si vous voulez), – le F-22 étant une semi-catastrophe et le F-35 une complète catastrophe. Grant avait déjà précisé par ailleurs que tout avait été fixé lorsque l’USAF, en 1991-1992, avait décidé d’abandonner l’“avion en aluminium” pour l’avion  complètement défini par la technologie furtive [stealth]. (« Après Desert Storm [la guerre du Golfe de 1990-1991], l’Air Force décida qu’elle n’achèterait plus jamais un chasseur non-furtif. Selon le Général Merrill A. McPeak, alors chef d’état-major, il n’y avait plus aucune raison d’acheter de nouveau chasseurs “en aluminium”. La furtivité a été depuis la marque de fabrique de l’Air Force. »)

La querelle était selon Grant la dernière chance de renverser cette tendance catastrophique, puisqu’il devenait de plus en plus évident que les technologies de la furtivité impliquaient beaucoup plus de faiblesses et de contraintes que d’avantages. Si le F-22 l’emportait on lançait parallèlement un renforcement des effectifs des “avions-aluminium” (F-15 et F-16 dans des versions avancées) et on conservait une chance de disposer d’un outil pérennisant l’“air dominance”. Mais les partisans du F-35 l’emportèrent et il ne fut jamais question de commandes supplémentaires de F-15 et de F-16 (par ailleurs produits encore pour l’exportation). Ainsi la technique elle-même, l’hyper-technologisme produisant sa propre subversion, contribua-t-elle décisivement à accélérer la décadence et l’effondrement de la puissance US/du Système.

Les angoisses de CentCom

C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’avertissement angoissé du Général Votel, de CentCom. Les forces aériennes US sont restées bloquées, du point de vue de la guerre électronique, à la situation des années 1990 avec des améliorations de fortune, se contentant de capitaliser sur ce qui fut et reste considéré comme la campagne aérienne la plus parfaite jamais réalisée, – celle de la Guerre du Golfe-I de 1990-1991.

  • Les “avions en aluminium” (F-15 et F-16) ont en général une moyenne de 30 ans d’âge et leurs capacités n’ont pas suivi les progrès de la défense aérienne russe puisqu’ils sont relégués à l’arrière-plan d’une sorte de “deuxième échelon” sans gloire. (On sait en effet qu’aucun programme sérieux de rééquipement de ces vieux modèles par des versions avancées des mêmes ne fut envisagé parce que tout le budget de l’USAF dans le domaine des avions de combat allait au programme JSF/F-35.)
  • Les nouvelle merveilles furtives (stealthy) sont dans l’état qu’on sait : une poignée de F-22 (187 pour le théâtre global où opère l’USAF) qu’on utilise au compte-gouttes, avec la crainte épouvantable de possibles pertes parce que la furtivité est vulnérable à certains types de radar qui ne sont pas étrangers aux Russes et que la destruction d’un tel avion serait une catastrophe de relations publiques ; l’inutilité chronique et surréaliste du F-35, qui est parqués à près de 300 unités mais qu’on n’ose engager en opération pour la même crainte épouvantable multipliée par les avatars sans fin de la chose.
  • Le pari de l’USAF de 1991-1992 est totalement perdu, et quasiment toute la flotte de l’USAF est sous la menace de la puissante organisation de défense aérienne A2/AD que les Russes ont développée durant les quinze dernières années. Tout comme au niveau stratégique nucléaire, les USA se sont laissés tragiquement distancés au niveau de la doctrine de la bataille aérienne. Le symbole de l’“air dominance” est en passe de devenir un mythe dépassé, exactement à l’image de la situation de l’hégémonie mondiale des USA.

L’armée des sanctions US

La campagne engagée par les USA grâce à l’arme des sanctions, – CAATSA, piètre reliquat de leur puissance passée, – en se concentrant sur l’exportation des S-400, sous prétexte de faire des affaires et d’imposer un peu plus le catastrophique Patriot, fait en réalité une publicité considérable au S-400 et à l’armement russe. Interprétée dans son contexte le plus large où l’on entend effectivement la voix angoissée du Général Votel, cette campagne est une reconnaissance de la capacité russe de détruire le “domination aérienne” des USA. A ce point, ce n’est pas vraiment une question opérationnelle, – rien de décisif n’est venu du système anti-aérien général des Russes contre la posture aérienne opérationnelle des USA ; c’est d’abord une question de communication, dans la guerre du même nom, où les Russes remportent régulièrement les affrontements qu’on leur oppose.

Pendant ce temps, on peut être sûr que les planificateurs du Pentagone développent leurs plans en fonction de ces mêmes éléments de communication dont ils sont eux-mêmes, pour beaucoup, la cause. Ce genre de paradoxe assez roboratif est courant aujourd’hui… Les plans du Pentagone seront et sont déjà nécessairement restrictifs. Ils devront envisager de plus en plus de limiter les actions offensives, notamment terrestres, parce que leur doctrine a toujours été et reste plus que jamais de ne rien faire de sérieux si la “domination aérienne” n’est pas verrouillée.

Curieuse situation, correspondant assez justement à notre étrange époque : au plus les USA entretiennent et entretiendront une communication agressive, en agissant hors de tous les cadres légaux et maniant à mesure les menaces militaires, au plus leur planification opérationnelle sera prudente et inquiète, voire angoissée. L’“effet-S400” n’a pas besoin de détruire d’avions américanistes pour se manifester.

DDE

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