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La chute d’Assange (Notes)

(DDE). Comme l’on sait, il y a près de 50 ans éclatait l’affaire des Pentagon Papers qui reste une des sommets de l’action décisive d’intrusion de la presse dans le pouvoir politique et ses illégalités. L’affaire avait été déclenchée par l’icône des “lanceur d’alerte” (whistleblowers), Daniel Ellsberg, qui agit au péril de sa liberté et peut-être bien de sa vie. Le même Ellsberg, qui garde bon pied bon œil et poursuit ce même combat pour la liberté de la presse, a publié un communiqué à l’occasion de l’emprisonnement de Julian Assange, que quelques gros-bras du MI5 sont venus chercher dans son refuge minuscule de la minuscule ambassade d’Équateur à Londres, devenue pour lui, depuis un an, une véritable prison.

« C’est une agression très grave contre le Premier Amendement. Une tentative claire d’abroger la liberté de la presse…. C’est la première inculpation d’un journaliste et rédacteur ou éditeur, en l’occurrence Julian Assange. Et si cela se solde par un succès pour le gouvernement, ce ne sera pas le dernier. C’est clairement une partie de la guerre du président Trump contre la presse, ce qu’il appelle l’ennemi de l’État. Si [le président Trump] réussit à mettre Julian Assange en prison, […] je pense qu’il [Assange] y restera toute sa vie… »

Pompeo, la mule du Système

S’il fixe l’importance de l’événement, ne serait-ce qu’à cause de sa force de personnage symbolique, s’il désigne justement ce qui est menacé, qui est la liberté de presse, par contre Ellsberg se trompe largement de cible. Dans cette affaire-Assange, Trump, qui s’est misérablement défaussé de toute intérêt et de toute intervention directe, n’est qu’un comparse sans beaucoup d’importance ; c’est tout un système, – le Système, en fait et en soi, – qui a été frappé au cœur par les révélations-fleuve de WikiLeaks, avec des centaines de milliers de documents sur le comportement des armées US en Irak et en Afghanistan ; qui, à partir de là, en 2010-2011, s’est mis en branle pour obtenir la tête d’Assange, c’est-à-dire pour frapper aveuglément tout ce qui a rapport à WikiLeaks, pour se venger, pour exhumer sa rage et cracher sa fureur ; le Système est une Bête qui ne pardonne pas qu’on le prenne en flagrant délit d’être bien ce qu’il est, de bien puer comme certains le sentaient déjà….

Et, dans ce cas, l’une des  mules  actuelles du Système, – dans le langage des passeurs de drogue notamment sur la fameuse frontière Sud que l’administration Trump entend rendre hermétique, – c’est parfaitement Mike Pompeo, secrétaire d’État de fortune, homme si brutal et en même temps (cela va ensemble) si complètement stupide que le colonel Lang se demande s’il est vraiment “aussi idiot qu’il le paraît” (« Can Pompeo really be this goofy ? »). C’est en effet Pompeo qui, lorsqu’il était à la CIA, a préparé l’attaque contre Assange en annonçant qu’il apportait son propre amendement au Premier Amendement de la Constitution…

« Comme le signalait  le New York Times  l’année dernière [2018], “Peu après son entrée en fonction comme directeur de la C.I.A., [l’actuel secrétaire d’État] Mike Pompeo a révélé en audience à huis-clos aux parlementaires d’une commission  du Congrès que l’Agence avait une nouvelle cible : Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks.” Le Times a ajouté que “M. Pompeo et l’ancien procureur général Jeff Sessions ont déclenché une campagne agressive contre M. Assange, renversant la position officielle de l’ère Obama qui acceptait de considérer WikiLeaks comme une entité journalistique”.
» 
En avril 2017, Pompeo, alors qu’il était encore directeur de la CIA, a prononcé  un discours audacieux  proclamant que “nous devons reconnaître que nous ne pouvons plus laisser à Assange et à ses collègues la latitude d’utiliser contre nous les valeurs de liberté d’expression”. Il a ponctué son jugement par cette menace : “Leur donner la possibilité de nous attaquer avec des informations secrètes fuitées est une perversion de ce que représente notre grande Constitution [avec son Premier Amendement sur la liberté de la presse]. Ça suffit maintenant”. » (Greenwald)

Et la pressetituée de s’exécuter…

L’attaque de Trump “contre la presse” que cite Ellsberg (contre CNN, le Washington Post, le New York Times, puis les autres et le reste, le Guardian, la BBC, etc.), qui se situe dans le cadre d’une riposte de Trump contre l’offensive médiatique de la haine antiTrump structurée autour du Russiagate, cette attaque ne se prolonge nullement dans l’attaque contre Assange. Au contraire, la presseSystème appuie de toute la vertu du simulacre juridique dont elle est capablela tactique de l’administration qui est de demander l’extradition d’Assange pour un délit mineur qui peut être puni de 5 ans de prison maximum, pour se réserver de passer plus tard, lorsqu’il aura été condamné, à des charges beaucoup plus graves tournant autour de la trahison, – c’est-à-dire prison à vie ou la mort, avec “traitement” adéquat (isolement, torture, etc.). Cette tactique, mise au point en pleine connivence avec l’Équateur et le Royaume-Uni était nécessaire pour “légaliser” aussi bien la fin du statut de réfugié politique d’Assange que son extradition, qui auraient été impossibles s’il y avait eu, du côté US, une accusation de type politique pouvant entraîner les peines maximales et violant un peu trop effrontément le principe de la liberté de la presse.

Voici donc (d’après WSWS.org) comment la presseSystème, la “pressetituée”selon l’expression US de presstitute qu’emploie notamment et abondammentPaul Craig Roberts, sait se coucher selon le bon vouloir de ses maîtres ; voici quelques-unes de ses réactions les plus marquantes d’approbation de la démarche officielle parmi les titres de la presseSystème les plus tenus comme des références absolument indiscutables…

« Dans une déclaration du comité de rédaction le 12 avril, le New York Times écrit : “Le gouvernement a accusé Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, non pas de publier des informations gouvernementales classifiées mais de les avoir dérobées, cela pour écarter toute accusation de mettre en cause le Premier Amendement [sur la liberté de la presse]”.
» 
“L’unique chef d’accusation contre Assange, écrit le Times, signifie que l’arrestation ne remet pas directement en cause la distinction entre un journaliste qui dénonce l’abus de pouvoir par l’acquisition de matériel classifié, – ce que font constamment les journaux traditionnels comme le Times, – et un agent étranger qui cherche à compromettre la sécurité des États-Unis par le vol ou le subterfuge… L’administration a bien commencé par inculper M. Assange pour un crime indiscutable.
» 
L’éditorial du Washington Post s’intitule “Julian Assange n’est pas un héros de la presse libre. Il est inculpé depuis longtemps pour sa responsabilité personnelle.” Le Post poursuit : “Le cas de M. Assange pourrait être considéré comme une victoire pour la primauté du droit, et non comme une défaite pour les libertés civiles, ce que proclament à tort ses défenseurs.” Le Post qualifie les inquiétudes concernant la sécurité d’Assange de “propagande pro-WikiLeaks”. Le fait que l’acte d’accusation [initial] n’accuse pas Assange d’avoir violé la loi sur l’espionnage prouve qu’il “n’avait [et n’a] aucune crainte légitime pour sa vie, que ce soit des mains des exécuteurs de la CIA ou, par extradition, par peine de mort aux USA”.
» 
Le Post explique que “la Grande-Bretagne ne devrait pas craindre que son procès en justice pour ce chef d’accusation de piratage mette en danger la liberté de la presse” parce que le comportement d’Assange est “contraire à l’éthique”, qu’il n’est pas “un vrai journaliste” parce qu’il a divulgué du matériel dans le domaine public sans aucun effort indépendant pour vérifier sa réalité ou donner aux individus nommés la possibilité de commenter”. »

Comment Ellsberg serait dénoncé aujourd’hui

Cette longue explication du site WSWS.org devrait suffire à comprendre que si Ellsberg agissait aujourd’hui comme il l’avait fait en 1971, les rédactions du New York Times et du Washington Post recevant des copies des  Pentagon Papers réagiraient exactement à l’inverse et alerteraient aussitôt le FBI ; ils salueraient aussitôt l’arrestation immédiate de ce bandit-traître sur dénonciation comme un acte fondamental de vertu civique et de défense de la sécurité nationale. C’est effectivement ce qu’ils feront si le scénario se déroule comme prévu, si Assange est extradé, s’il en prend pour 5 ans pour le délit mineur invoqué, s’il est ensuite inculpé dans sa prison comme « un agent étranger qui cherche à compromettre la sécurité des États-Unis par le vol ou le subterfuge ». L’affaire ainsi conclue, ils publieront des éditoriaux triomphants saluant “un acte essentiel de protection de la sécurité nationale” et se félicitant de leur propre attitude comme d’“un acte fondamental de vertu civique”.

Ainsi la presseSystème se couche-t-elle aujourd’hui, aux ordres, parfaitement bien éduquée à cet égard et portant beau. Le comportement du gouvernement, lui, est parfaitement cohérent, ce que comprend très bien la presseSystème-couchée. Glenn Greenwald l’explique dans un long article (déjà cité plus haut) superbement documenté et absolument décisif dans The Intercept, – qui ne dissimule rien : l’arrestation d’Assange et ce qui va sans doute suivre constituent une attaque d’une violence inouïe contre la liberté de la presse.

(Mais avec cette réserve : que reste-t-il de la “liberté de la presse” dans son expression classique, constitutionnelle, lorsque la presseSystème est si complètement soumise au Système, comlme une fille ?) 

Greenwald signale que le Système veut la peau d’Assange depuis 2010-2011, sans discontinuer ni dissimuler, sans se décourager, sans songer une seconde à mesurer combien cette passion de revanche peut accoucher d’effets contre-productif, – il la veut avec l’acharnement et le front-bas de la surpuissance qui l’anime. Greenwald signale que l’administration Obama (qu’on dit “de gauche”, selon les classifications de convenance) n’a pas osé employer le subterfuge actuel en 2012-2013 par manque de preuves acceptables selon son jugement : on veut bien que l’hypothèse d’un reste de la vertu de respect de la loi soit évoquée mais c’est surtout parce que le contexte de 2012-2013 interdisait complètement toute manœuvre de cette sorte.

(Le précédent président équatorien alors en fonction, un proche de Chavez, campait sur sa position de protéger Assange à tout prix ; impossible d’espérer un arrangement avec lui. On sait par contre suffisamment bien assez qu’avec l’actuel président, prénommé Lenin, corrompu jusqu’à l’os et impliqué depuis le mois dernier dans un scandale meurtrier si les USA l’utilisaient contre lui, ayant d’autre part totalement modifié sa politique vers le pro-américanisme et l’hyerlibéralisme, ayant reçu comme “avance sur services rendus” les premiers crédits d’une aide de $4 milliards du FMI, on sait que ce président-là est absolument acquis à la manœuvre de liquidation d’Assange et qu’il tient son rôle à merveille, sous les applaudissements de Pompeo.)

Le « complexe médiatique-gouvernemental » en marche

Tout cela, cette formidable manœuvre pour avoir la peau d’Assange, aboutit à une situation générale de la presse, de la liberté de la presse, du journalisme enfin si le mot a encore un sens, qui est assez bien synthétisé par  un texte de RT.com citant les paroles rapides mais éclairantes de quelques commentateurs. Il montre bien comment la presseSystème, qui avait, en 2010-2012, formidablement profité pour sa réputation et ses augmentations de tirage des apports de WikiLeaks (de la même façon que leGuardian suivi du reste du troupeau profita des révélations de Snowden en 2013), est aujourd’hui en position d’applaudir avec délice le jour où Pompeo, coiffé de son bonnet phrygien, libérera la lame de la guillotine pour qu’enfin l’on soit débarrassé de l’insupportable binette du traître, subversif et grand ennemi de la démocratie qu’est Julian Assange. Entretemps, nous avons franchi un pas décisif pour nous faire passer dans l’infamie, à peu près à l’occasion de la crise ukrainienne et de l’installation de l’antirussisme comme moyen de pression capital du Système pour transmuter la réalité en sa/ses narrative…

« L’arrestation du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, est un coup dur porté à la liberté de la presse, mais les médias grand public [de la presseSystème] n’y voient aucune objection, bien qu’ils n’aient pas hésité à publier des articles basés sur ses publications, ont déclaré des analystes à RT. “Ce que nous voyons en ce moment, c’est la criminalisation du journalisme, la criminalisation de l’édition”, a déclaré l’analyste Patrick Henningsen quelques heures après que la police britannique eut expulsé de force Assange de l’ambassade de l’Équateur à Londres.
» 
Cette évolution “très malheureuse” touche tous les journalistes, mais “les médias grand public qui sont complètement couchés devant le pouvoir ne protestent absolument pas contre ce qui se passe”, a-t-il ajouté. Les principaux groupes de presse occidentaux sont complètement “en phase avec les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Espagne et d’autres pays” et ne considèrent tout simplement pas Assange comme leur collègue.
» 
Il n’y a plus de “quatrième pouvoir viable”, seulement le “complexe médiatique gouvernemental”, a dit M. Henningsen.
» 
Cela dit, Julian Assange a été “un Robin des Bois moderne pour les journalistes indépendants”. “Tout le monde a utilisé ce qu’il a révélé sur [Hillary] Clinton, sur les guerres en Irak et en Afghanistan”, a déclaré à RT le journaliste indépendant Luc Rivet.
» 
Et [la presseSystème] s’est aussi largement appuyé sur le travail effectué par WikiLeaks, explique Peter Tatchell, militant des droits humains. “Assange n’a rien divulgué, mais a seulement mis à la disposition du public des documents obtenus par Chelsea Manning. C’est un éditeur au même titre que le New York Times et le Guardian qui ont également publié les fuites de Chelsea Manning”, explique Tatchell.
»  
Le fait que ce soit seulement Assange, qui est persécuté par les États-Unis, mais pas ces grands groupes, “cela pue le deux poids, deux mesures. Cela ressemble à une vendetta”, a souligné l’activiste. “La raison pour laquelle les autorités américaines le poursuivent n’est pas parce qu’il a causé des dommages, mais parce qu’il a causé un énorme embarras en exposant les méfaits américains dans le monde entier.”
» 
M. Henningsen a souligné qu’aujourd’hui, “les choses ne deviennent dignes de protestation que si les médias grand public en font état”, de sorte que l’arrestation d’Assange ne conduira pas à des rassemblements à grande échelle, ajoutant que seuls les activistes concernés descendront dans la rue. Il a exprimé la conviction que l’Équateur, qui a abrité Assange pendant plus de six ans, a retiré la demande d’asile de l’éditeur à la suite d’un « accord de coulisse qui a été conclu entre les gouvernements équatorien, britannique et américain ».
» 
Assange sera très probablement extradé vers les États-Unis, où “le danger est qu’il ne soit pas confronté à la justice”, mais seulement à “une façade de procédure régulière”, a-t-il dit. “Ce à quoi il va être confronté, c’est à une procédure secrète devant un grand jury, très probablement dans le nord-est de la Virginie, qui sera probablement tranchée par le juge, qui a statué contre tous les dénonciateurs de l’administration Obama, dont Thomas Drake, John Kiriakou et bien d’autres.”… »

Le plus “terroriste” des deux

La question se pose d’une façon générale, objectivement dira-t-on, de savoir de quelle façon rationnelle le système de l’américanisme justifie à ses propres yeux son acharnement à prendre Assange. Le fait que le directeur de la CIA déclare aux parlementaires d’une commission du renseignement que “le nouvel objectif de l’Agence” est de “prendre” Julian Assange et que l’Agence considérait désormais WikiLeaks comme “un service de renseignement ennemi” et non plus comme une organisation journalistique comme l’avait considéré l’administration Obama, relève à la fois de l’obsession et d’un climat très particulier régnant au sein des élites de la sécurité nationale aux USA. Pour Pompeo, Assange n’est rien de moins qu’un “terroriste” à l’égal de ben Laden, sauf qu’il est absolument improbable sinon hors de question qu’Assange, contrairement au cas de ben Laden, ait travaillé pour la CIA dans un temps ou un autre et de quelque façon que ce soit.

(Mais à épouser l’état d’esprit d’un Pompeo et de la CIA, en adoptant leur mode de pensée, leur capacité d’inversion et de subversion de leur propre jugement, on comprend évidemment qu’Assange est pour eux le vrai “terroriste”tandis que ben Laden devrait être considéré comme un homme honorable sinon un “honorable correspondant”.)

Mettre sur le même plan d’affrontement une organisation de la puissance de la CIA et un homme de toutes les façons neutralisé, et n’ayant donc plus guère d’activités professionnelles tandis que son organisation fonctionne hors de son action, c’est-à-dire un personnage de valeur incertaine pour le travail de l’Agence, voilà qui révèle un climat très particulier où l’essentiel du jugement relève de la communication, du symbolisme-simulacre, de la satisfaction d’un hybris partagé entre vanité et pathologie psychologique ; avec comme résultat un marteau-pilon en marche pour tenter d’écraser une mouche.

C’est ce climat en rapport avec l’action entreprise contre Assange que Charles Hugh Smith décrit dans une analyse publiée sur son site le 11 avril, et reprise par Infowars.com.Outre le contenu du texte, qui nous sert à confirmer notre appréciation du climat poussant à cette action contre Assange, le dernier point mentionné est très intéressant. On connaît Infowars.com, fameux site complotiste très à droite et soutien acharné de Trump ; et l’on sait qu’il a toujours montré une très grande méfiance sinon plus vis-à-vis de Julian Assange, perçu comme étant “de gauche”. Dans ce cas, notamment au travers de cette publication de l’article d’Hugh Smith, sa position est de facto largement favorable à Assange, du moins par défaut ou disons passivement. Ainsi l’action du Système pousse-t-elle à des reclassements qui ne lui sont guère favorable :au lieu de diviser ses adversaires qui sont naturellement antagonistes, elle les pousse à se rapprocher. Lorsqu’on panique, certes, on ne réfléchit plus, et d’ailleurs le Système ne s’est jamais astreint à réfléchir, comptant sue sa force brutale (surpuissance) pour l’emporter…

« La révélation la plus dommageable à tous les mensonges élaborés qui composent les récits officiels est la vérité révélée dans les courriels, documents et conversations officiels. C’est pourquoi presque tous les documents et toute la correspondance sont désormais “classifiés”, de sorte que quiconque rend public ne serait-ce qu’un élément banal d’une conversation officielle peut être condamné à pourrir dans une prison fédérale.
» 
Dans une interview récente de C-SPAN, l’auteur Nomi Prins a expliqué l’incroyable difficulté d’accéder désormais aux documents dans les bibliothèques présidentielles en raison du fait que pratiquement tout est classifié. Les demandes en vertu de la Freedom of Information Act (FOIA) déposées, les chercheurs doivent attendre des années avant d’avoir accès à la correspondance courante qui était librement accessible à tous il y a environ dix ans.
» 
La paranoïa officielle a une corrélation de 100 % avec l’ampleur des dommages causés aux récits officiels par toute fuite du moindre élément factuel. De quoi ont-ils si peur ? La raison est simple : plus la narrative est fragile, plus la dépendance à l’égard des demi-vérités et des mensonges est grande, plus il est officiellement urgent d’écraser tous les dénonciateurs et de maintenir une vigilance de type-Stasi contre tout murmure de dissension ou de doute.
» 
Si l’ensemble de la camelote n’était pas si vulnérable à l’exposition de la vérité et si dépendante du mensonge, pourquoi y aurait-il cette paranoïa infinie ? En fait, cette paranoïa s’étend au-delà de l’ensemble [du simulacre] actuel de mensonges et embrasse le passé, parce que la mise à jour des mensonges des décennies passées remet en question les récits officiels d’aujourd’hui.
» 
Tout doute est extrêmement dangereux, comme si tout dépendait d’un seul fil qui, en se rompant, détricoterait l’ensemble des statistiques égrenées, des fausses assurances, des demi-vérités et des mensonges éhontés. Une fois que les Cahiers du Pentagone ont révélé les faits de la guerre du Vietnam, l’appui pour le récit officiel s’est effondré essentiellement du jour au lendemain. Pour reprendre les mots immortels de Jean-Claude Juncker, “quand ça devient sérieux, il faut mentir”, et maintenant c’est sérieux tout le temps.
» 
Tout le statu quo mondial est en phase de déclin accéléré. D’où sa vulnérabilité à la perturbation de ses récits officiels et la paranoïa panique de ses gestionnaires. »

Le Système en phase ultime

L’arrestation d’Assange n’a eu qu’un écho assez modéré dans la presseSystème, rien de comparable avec les fuites dont WikiLeaks fut le relais et dont toute la presse mondiale profita avec de bons résultats pour ses ventes. Il faut redire, comme on l’a déjà fait, que le climat est aujourd’hui, six-neuf ans après les crises WikiLeaks et Snowden, notablement différent, marqué par une dérive catastrophique du Système dans sa dynamique d’effondrement, selon le processus décrit par Charles Hugh Smith. Il n’est plus question de laisser s’échapper quelques miettes que ce soit de la liberté de la presse (il n’en reste plus au reste, ni de presse, ni de liberté) ; il n’est plus question d’accepter les conséquences de la glorification des “lanceurs d’alerte”, c’est-à-dire la diffusion d’informations impropres à la consommation,.

Le Système s’effondre comme un  bateau sombre, c’est-à-dire avec une accélération dans la dynamique dans la mesure de l’accélération de l’aggravation des conditions du naufrage, – comme le Titanic, certes, dont le naufrage fut un de ces événements catastrophiques qui constituent un marqueur terrible dans la voie décliniste et catastrophique du progrès et de la modernité. En conséquence, on a fermé toutes les écoutilles, geste dérisoire de défense, et la consigne générale pour tous les outils du Système, la presseSystème en premier, est une obéissance sans une seule hésitation, un alignement complet sur les consignes d’interdiction du Système.

Le journaliste et auteur  argentin Santiago O’Donnell, travaillant avec WikiLeaks (Argenleaks: les données de WikiLeaks sur l’Argentine de A à Zet PolitiLeaks: tout ce que la politique argentine voulait dissimuler), l’un des derniers visiteurs extérieurs et soutiens d’Assange à l’avoir vu dans sa pièce d’exilé politique devenu prison, en fait un tableau consternant : « D’un côté, c’est une douleur physique très forte, un résultat d’absence de soins médicaux. Il a une dent cassée, un bras pratiquement paralysé. Il y a une grande pression psychologique. Il a passé beaucoup d’années enfermé, sans accès à un air frais et à la lumière du soleil. Ensuite, ses propriétaires se sont transformés en geôliers et ont rendu sa vie insupportable pendant presqu’un an. Quand je l’ai vu, il était dans un état paranoïaque. C’est la personne la plus persécutée dans le monde ».

A la limite, on pourrait penser que son arrestation le libère d’une situation devenue cauchemardesque et obsessionnelle pour lui, et qu’il se trouve désormais devant la perspective d’un combat légal sans pitié qu’il devra soutenir, selon « la voie du sacrifice, attitude christique s’il en est ». O’Donnell fait cette hypothèse pour le comportement d’Assange : « Les États-Unis ont déjà demandé son extradition. […] Comme je connais Assange, je pense qu’il se prépare à lutter au Royaume-Uni parce qu’il préfère être jugé là et non pas aux États-Unis. Il va forcer l’État américain à présenter ses preuves. Il déchaînera de grands débats au niveau international sur la question d’être journaliste et jusqu’à quel point le gouvernement peut incriminer la publication de fuites. »

Selon ce que sera cette bataille, ce qu’elle durera au niveau juridique (plusieurs mois, peut-être plus encore), selon la capacité du  camp d’Assange d’en faire un événement de communication à rebondissement, selon la capacité de WikiLeaks de soutenir cette notoriété par des diffusions de documents fuités, Assange peut redevenir un événement d’importance dans la lutte antiSystème. Personnage important dans la communication et les attaques antiSystème, le Système ne voudra pas dissimuler Assange lorsqu’il s’agira de le condamner “pour l’exemple” ; mais l’exemple d’Assange n’effraiera que ceux qui sont déjà effrayés et décidés à ne rien faire, et aura quelque chance, au contraire, de susciter des vocations de résistants et de dissidents chez ceux qui le connaissaient peu ou pas.  

Cela pourrait conduire, par la puissance symbolique de l’ensemble, à fixer effectivement son arrestation et tout ce qui a suivi et suivra comme un point d’inflexion dans la bataille de la communication, une involontaire exposition du Système par lui-même, dans une situation où il se trouve de plus en plus pressé et aux abois. Son attaque qu’il veut ultime contre Assange l’oblige en effet à montrer, par le fait même, qu’il est lui-même dans une phase ultime.

DDE

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