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A quoi resemble l’Algérie d’aujourd’hui ?

Par Karim Younes. Peut-on faire une analyse synchronique de notre situation socio-économique sans un regard sur les défis présents et futurs qui nous interpellent ?

Nous avons été un vaste champ d’expérimentation de nombreux modèles économiques mais l’évaluation globale des stratégies mises en place n’a pas donné de résultats probants.

Aujourd’hui, nous sommes en droit de poser les questions suivantes : quelles stratégies, quelles visions, quelles ambitions développons-nous en définitive pour notre pays ?

Notre pays a vécu durant la dernière décennie au rythme des travaux d’infrastructures que des experts bien rodés considèrent toutefois comme une nécessité pour rattraper le retard pris par le pays. Certes du point de vue économique, nul ne conteste l’utilité des barrages, des usines de dessalement et aussi des autoroutes. Ils sont un élément clé du développement, de la productivité et de l’attrait du pays.

Néanmoins, une question s’impose : comment développer notre savoir-faire en même temps, lorsque l’on sait que ces travaux -des autoroutes jusqu’aux bâtiments en passant par les télécoms – sont réalisés par d’autres pays sans transfert de technologie ? Ils sont même de plus en plus réalisés « clés en main », soit avec des technologies et de l’expérience dont nous ne tirons, souvent, aucune capitalisation, soit avec des matériaux et une main d’œuvre ordinaire de plus en plus importés, ce qui pourrait signifier que « nous importons des logements clés en main » au lieu de les réaliser.

 En vérité ces grands projets – portant sur des travaux d’infrastructures indispensables pour le pays et rendus possibles par l’aisance financière découlant d’une conjoncture pétrolière favorable mais de durée exceptionnelle – ont été réalisés avec trois défauts majeurs :

Des surcoûts importants et des retards dus, aussi bien à une mauvaise préparation (absence ou médiocrité des études de faisabilité), qu’à un suivi rigoureux, et bien sûr facilités par l’aisance financière,

L’absence d’actions et de mesures d’accompagnement à travers d’autres projets d’investissement complémentaires pouvant donner naissance à de la valeur ajoutée nationale, et donc au plan des emplois durables. On constate, hélas, que toutes les réalisations faites sont certes bénéfiques et nécessaires, mais elles n’ont contribué à ce jour qu’à accroitre de façon effrénée la consommation intérieure sans aucune valeur ajoutée.

Le développement de la corruption.

 Ce ne sont pas les aspects techniques de passation des marchés qui expliquent l’explosion de la corruption ‒ qui existait depuis toujours quoique à moindre ampleur – mais l’impunité dont bénéficient les auteurs majeurs des malversations et surtout le niveau incroyablement élevé dans la hiérarchie de la gouvernance de ces auteurs et leur proximité avec les centres de décision du pouvoir.

 Le problème de la corruption, débridée d’ailleurs, est encore perçu aujourd’hui, comme un élément intrinsèque d’un mode de gouvernance aux antipodes des intérêts nationaux, plus précisément pour la stabilité des institutions et plus généralement pour la stabilité socio-économique.

Dans le même ordre d’idées, comment ne pas s’inquiéter de voir se constituer un tissu d’entreprises axées pour l’essentiel sur l’importation non pas de machines-outils et de moyens ou capacités de création et production de biens à consommer ou à exporter, mais de produits finis qui inhibent totalement la production locale quand elle existe, ou toute volonté de produire localement ?

 Comment faire face de manière décisive à la nécessité de diversifier nos sources de revenus à travers la création de nouvelles richesses et réduire notre dépendance des hydrocarbures s’il n’existe aucune stratégie industrielle autre que celle du laisser-faire ? La politique de désindustrialisation a abouti à une économie de bazar, avec un tout-import assis sur une rente pétrolière qui s’épuisera pourtant un jour.

 Comment ne pas s’inquiéter lorsque l’on sait que dans une dizaine d’années, la population frôlera les cinquante millions d’habitants alors que d’autre part les réserves d’hydrocarbures s’amenuisent naturellement (même si on espère de nouvelles et importantes découvertes) et que l’économie productive hors hydrocarbures est incapable de prendre la relève ?

 Notre pays a dilapidé une bonne part de ses ressources. La faute en incombe à des politiques hasardeuses et incohérentes, parfois inspirées par la démagogie et souvent aveugles aux réalités du temps. L’ampleur des dégâts se révèle sous nos yeux, corroborée par des remous sociaux de plus en plus exacerbés.

 Notre pays est par ailleurs en retard dans la marche des nations vers la stabilité institutionnelle. Nous n’avons pas su ou pu « sédentariser » la démocratie et le dialogue comme moyens de gouvernance.

L’image est très inquiétante, on voit ce qu’on n’a jamais vu, le délitement progressif de l’État algérien.

L’Algérie reste un pays où la situation politique est bloquée mais dont la posture stratégique évolue. Il y a de cela à peine une dizaine d’années, les Etats-Unis et les Occidentaux de façon générale ne considéraient l’Algérie que pour des intérêts commerciaux. La posture de l’Algérie change à la faveur de la reconfiguration géopolitique dessinée par les puissants.

Cette évolution géopolitique de l’Algérie découle déjà du basculement du pays du camp des non-alignés vers une collaboration avec l’OTAN en Méditerranée dans le cadre du partenariat pour la Méditerranée. Cette collaboration tenue jusqu’ici loin de l’opinion publique ne devrait pas se faire à l’encontre de nos intérêts stratégiques.

Le monde est en train de vivre une transformation globale de son économie et plus particulièrement des échanges et des relations. Il est certes de plus en plus caractérisé par la globalisation et le libre-échange, mais de nouvelles tendances sont observables à travers un nouveau président américain qui parle et défend le protectionnisme, un nouveau président français qui parle de patriotisme économique et même de nationalisation, tandis que le président chinois va à Davos parler de libre-échange.

Il faut ajouter à tous les enjeux géostratégiques, le progrès technologique dont les avancées sont en train d’accélérer les mutations auxquelles nous devrions faire face.

Dans une situation pareille, il n’y a pas d’autre choix que d’agir pour affronter les défis futurs ou subir les changements qui seront imposés de l’extérieur, et liés aussi bien à des fragmentations que des regroupements de territoires entraînant une modification complète des économies régionales. 

L’Algérie est par conséquent face à un point de non-retour, caractérisé par l’absence de stratégie et de vision à long terme, sur tous les plans : humain, socio-culturel, politique et économique.

En premier lieu, il faut prendre conscience qu’il est vain de prétendre développer l’économique sans avoir au préalable assaini le politique.

Il n’y a pas de développement significatif sans démocratie. Aussi, est-il nécessaire de prime abord de mettre fin à la déliquescence de l’Etat actuel pour bâtir un véritable Etat de droit fondé sur des principes démocratiques et reposant sur des Institutions élues démocratiquement, une justice égale pour tous et indépendante.

Il faut par ailleurs libérer toutes les initiatives, qu’elles soient publiques ou privées, de toute tutelle ou système d’allégeance. Il faut redonner aux entreprises l‘autonomie et la stabilité qui leur avaient été conférées par la loi au début des années 90. Le choix des managers doit reposer sur les critères de la méritocratie et non du régionalisme et/ou du népotisme.

Il convient enfin d’améliorer le climat des affaires en revenant aux lois sur les investissements du début des années 90 et en mettant fin à cette règle des 51/49 contestable pour de nombreux secteurs d’activité sauf pour les domaines stratégiques liés à la souveraineté ou la sécurité nationale.

Notre pays doit miser sur le savoir et la connaissance et faire confiance à ses élites qu’elles vivent sur le sol national ou à l’étranger au sein de cette diaspora qui réussit si bien et qui est prête à contribuer au développement de son pays. C’est par l’émulation que l’on peut mobiliser les énergies, forger ou réveiller des convictions et créer des élans patriotiques.

Karim Younes

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