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Très-gros temps pour Mélenchon

Certes, la France résonne aujourd’hui d’une tension extraordinaire et extraordinairement palpable et audible, comme la corde d’un arc bandée jusqu’à la rupture, au matin de ce 8 décembre 2018. Nul n’a fait grand effort pour apaiser cette tension, ou plutôt nul n’a réussi malgré ses efforts, à apaiser cette tension. Ici, on lit une interview de Djordje Kuzmanovic, sur cette tension extraordinaire de la situation générale autant que sur la situation au sein de FI (France Insoumise), qui est un mouvement particulièrement concerné par les Gilets-jaunes.

Kuzmanovic occupait dans ce parti le poste de conseiller diplomatique de Mélenchon et affirmait une position clairement souverainiste. Il a très-récemment et spectaculairement quitté FI à cause de l’orientation de ce parti vers la tendance “rassemblement de la gauche”, “communautariste”, etc., aux dépens de la tendance souverainiste, ce qui avait conduit à son élimination de la liste FI pour les élections européennes. Cette orientation de FI vient essentiellement du fait de l’absence de structuration hiérarchique de FI (qualifié de “mouvement gazeux”), ce qui donne tous les pouvoirs au comité électoral qui décide des candidatures, et ce comité où les “communautaristes” ont réussi s’installer aux postes de contrôle ; leur prise de pouvoir ne serait donc nullement due à une volonté des militants mais plutôt à une manœuvre bureaucratique.

S’il n’en dit pas trop, il nous paraît clair que Kuzmanovic doit éprouver une réelle rancune à l’encontre de Mélenchon, dont il était proche, qui n’a vraiment pas fait grand’chose pour le soutenir dans cette épreuve ; l’épisode permet d’en savoir un peu plus sur le comportement de Mélenchon, et il se pourrait bien qu’outre d’être peu habile ce comportement ne soit nullement à son honneur. Pour ce qui est de FI par rapport aux Gilets-jaunes, Kuzmanovic estime in fine qu’en choisissant cette tendance dont il est lui-même victime, FI s’est privé de la capacité d’être le principal relais, sinon le réceptacle politique du mouvement.

« Il nous suffisait de continuer l’Avenir en commun de 2017 que Jean-Luc [Mélenchon] portait. A l’époque, tous les autres étaient derrière, se plaisaient et se taisaient : les gauchistes et les sociaux-démocrates ne disaient rien pendant la campagne présidentielle. Ils ont attendu d’avoir un poste. Quand ils l’ont eu, ils ont commencé à développer leur propre ligne, qui n’est pas celle de l’Avenir en commun. Si on avait continué sur la ligne de 2017, La France insoumise aurait été le débouché politique naturel de la révolte légitime et populaire des Gilets jaunes. En ce moment, La France insoumise se raccroche au wagon... »

Ci-dessous, on trouve donc l’interview de Kuzmanovic sur RT-France datant du 7 décembre au soir, vraiment à la veille de cette journée du 8 décembre, nouvelle “journée décisive” (il y en a eu déjà d’autres et il y en aura sans doute d’autres) pour les Gilets-jaunes et la crise qu’ils ont développée. A côté de ses déboires avec FI, Kuzmanovic développe bien sûr une analyse de la situation et de ses perspectives. Cette analyse est clairement du côté de la perspective catastrophiste, rejoignant en cela le courant des commentateurs qui estiment que le système Macron est très gravement touché par la crise. Kuzmanovic juge qu’il n’est nullement assuré que les élections européennes puissent avoir lieu, ni que des événements très importants du côté du pouvoir soient évités :

« Les élections européennes sont donc devenues un sujet secondaire désormais. Si ça se trouve, en France, on aura une dissolution, une destitution, peut-être que l’on aura une Constituante… Allez savoir. »

Ces remarques mettent en évidence la perception partagée de Kuzmanovic de la vitesse des événements, et parallèlement et par  conséquent des changements aussi rapides d’état d’esprit et de jugement de ceux qui parviennent à s’adapter à cette dynamique. Les Gilets-jaunes ont déclenché une sorte de cataracte crisique qui touche tous les domaines de la politique, qui secoue les partis politiques, qui installe un désordre incontrôlable. La prévision, déjà bien improbable dans l’époque que nous vivons, devient absolument impossible.

Le contexte général, dans le soi-disant relations internationales comme dans diverses situations crisiques internes, signale que la France se trouve parfaitement intégrée dans la dynamique de la globalisation crisique. Si l’on songeait à plaisanter avec par instant le cœur à rire, on dirait pour la détente de l’humeur que le président Macron a réussi son pari : il a parfaitement intégré la France dans la globalisation.

« Avec les Gilets-jaunes, on tend vers une déflagration »

RT France: « Djordje Kuzmanovic, vous avez été récemment écarté des listes électorales pour les européennes de La France insoumise (LFI). Vous avez ensuite décidé de claquer la porte du mouvement en critiquant sur Twitter “les communautaristes adeptes de la gauche qui perd”, qu’entendez-vous par là ? La France insoumise est-elle en train de perdre sa ligne souverainiste et républicaine ? »

Djordje Kuzmanovic : « Je critique le louvoiement très fort au sein de La France insoumise, en particulier cette année. Pourtant, le programme de l’Avenir en commun [programme politique du mouvement La France insoumise durant la présidentielle de 2017], par ses succès auprès de la classe populaire, a montré son caractère populiste, novateur. Un programme qui était soucieux des problèmes des Français les moins bien lotis et des classes moyennes.

D’ailleurs, dans cette optique, Jean-Luc Mélenchon théorisait la fin du clivage gauche/droite pendant la campagne présidentielle et en appelait à un rassemblement autour des idées populistes et “dégagistes”. Néanmoins, durant l’année, au sein de La France insoumise – sans que nécessairement Jean-Luc Mélenchon en soit responsable, les forces politiques [La France insoumise est composée de trois partis] ont eu une tendance forte à revenir à ce qui était la gauche classique des trente dernières années. Cette tendance c’est, par exemple, revenir à des idées communautaristes. Quand j’évoque cela, je pense à tous ceux qui sont dans Ensemble !, de Clémentine Autain. Je pense aussi à Eric Coquerel. Ce dernier a organisé une initiative communautariste avec la journée des quartiers populaires, en déconnexion de facto avec l’Avenir en commun.

Il y a eu de fait cette poussée forte au sein de La France insoumise incarnée dès le début par Clémentine Autain. Dans Politis en début d’année, elle appelait à un rassemblement de la gauche. Jean-Luc Mélenchon s’y était opposé. Pourtant quelques mois plus tard c’est cette ligne-là qui l’a emportée au sein de La France insoumise. La ligne s’est imposée à Jean-Luc. »

RT France: « D’ailleurs Jean-Luc Mélenchon, quelques mois plus tard, en septembre 2018, vous avait reproché d’avoir exposé une ligne personnelle, dans Le Nouvel Obs. Or, le même jour, dans le même magazine, Clémentine Autain tenait des arguments tout aussi personnels sur la question de l’immigration. Jean-Luc Mélenchon ne lui en avait pas tenu rigueur… »

Djordje Kuzmanovic : « Exactement. Je rappelle que l’une des premières à avoir tenu des propos communautaristes, c’est Danièle Obono [Elle avait notamment apporté son soutien aux aux ateliers en non-mixité raciale du syndicat d’enseignants Sud Education 93]. »

Jean-Luc Mélenchon l’avait, d’une certaine manière, défendue à la convention de Clermont-Ferrand [les 25 et 26 novembre 2017] en sortant cette phrase célèbre : “Il n’y a pas de police de la pensée chez nous.”

Sauf que, visiblement, il y a une police de la pensée quand il s’agit des souverainistes et il n’y en a pas quand il s’agit des communautaristes. De la même manière, il y en a une quand il s’agit des étatistes comme moi, mais il n’y en a pas quand on organise des réunions objectivement tournées contre les forces de l’ordre de notre pays.

Clairement, la ligne du rassemblement de la gauche s’est imposée au sein de La France insoumise jusqu’à la défaite électorale de Farida Amrani [lors de l’élection législative partielle en Essonne le 18 novembre]. Le soir-même de l’élection, Jean-Luc Mélenchon a critiqué cette politique du rassemblement de la gauche, ce qu’il a un peu laissé faire au sein de La France insoumise. Il a déclaré que cela ne marchait pas et que cela n’amenait que des échecs. Tant mieux. Mais deux jours après, François Cocq et moi-même sommes éjectés des listes électorales pour les européennesalors que nous n’étions pas en position éligible. On s’est fait éjecter pour des raisons fallacieuses. Pour la majorité du comité électoral, c’était une manière de marquer une rupture avec la ligne politique. »

RT France: « Le discours contre le rassemblement de la gauche de Jean-Luc Mélenchon après la défaite de Farida Amrani devrait tout de même vous rassurer. Même si La France insoumise tente un fonctionnement à l’horizontal et essaie de changer de ligne, Jean-Luc Mélenchon a une forte emprise sur le mouvement… »

Djordje Kuzmanovic : « Oui, Jean-Luc a une forte emprise sur le mouvement mais il n’a pas une emprise totale. Il y a du monde au sein de La France insoumise et le fait que le mouvement soit gazeux rend les choses très compliquées. S’il y avait des institutions claires, cela aurait été beaucoup plus facile de contrôler.

Les gauchistes et les sociaux-démocrates ne disaient rien pendant la campagne présidentielle. Ils ont attendu d’avoir un poste.

Or, le seul organe politique qui existe au sein de La France insoumise c’est le comité électoral. Officiellement, il doit sélectionner des candidats. Néanmoins, étant le seul organe, le comité électoral se retrouve de facto organe de direction et chambre de résolution de conflits internes. »

RT France: « N’êtes-vous pas déçu de la réaction de Jean-Luc Mélenchon, qui ne vous a pas soutenu après la décision du Comité électoral ? »

Djordje Kuzmanovic : « Il y a une déception personnelle je ne vais pas le nier et… un peu de vexation.

Le grand regret reste que la position, que l’on défendait avec François Cocq , était la bonne position. Il nous suffisait de continuer l’Avenir en commun de 2017 que Jean-Luc portait. A l’époque, tous les autres étaient derrière, se plaisaient et se taisaient : les gauchistes et les sociaux-démocrates ne disaient rien pendant la campagne présidentielle. Ils ont attendu d’avoir un poste. Quand ils l’ont eu, ils ont commencé à développer leur propre ligne, qui n’est pas celle de l’Avenir en commun. Si on avait continué sur la ligne de 2017, La France insoumise aurait été le débouché politique naturel de la révolte légitime et populaire des Gilets jaunes. En ce moment, La France insoumise se raccroche au wagon. »

RT France: « Pensez-vous que le mouvement des Gilets jaunes peut être récupérable politiquement ? En l’état actuel des choses, La France insoumise ne reste-t-elle pas le mouvement politique qui pourrait le mieux représenter les Gilets jaunes ? »

Djordje Kuzmanovic : « Non, ce n’est plus possible. D’abord, on est dans une situation que l’on a déjà vécue en France et qui n’est pas naturelle à la politique. On a des franges massives du peuple qui, pour beaucoup, étaient abstentionnistes ou ne s’intéressaient pas réellement à la politique. Le mouvement se déclare objet politique et agit sur tout le territoire. Les Gilets jaunes sont très fortement “dégagistes”. Cela se sent dans leur revendication. Les tentatives de récupération ne marchent pas très bien. Ils ne trouvent pas un parti ou un mouvement qui pourrait les représenter.

Comme le peuple, le mouvement des Gilets jaunes est très divers avec des composantes diverses. Ce qui les unit, comme fond essentiel, c’est la justice sociale. Sur les autres points, ils ne sont pas nécessairement unis. »

RT France: « Vous étiez venus sur le plateau de RT France le 24 novembre en gilet jaune, vous sentez-vous encore Gilet jaune ? »

Djordje Kuzmanovic : « Je reste évidemment Gilet jaune. Quand j’étais à La France insoumise, je demandais à ce que l’on soutienne le mouvement et à être aux côtés des Gilets jaunes, contrairement à d’autres comme Eric Coquerel – qui a considéré que le mouvement était quelque chose de tangent, dangereux, plutôt d’extrême droite.

J’étais d’ailleurs présent dès les premières manifestations à Paris avec les Gilets jaunes. Désormais, je n’y suis plus qu’en tant que citoyen. »

RT France: « Dans une tribune publiée dans Marianne, le 28 novembre, vous avez déclaré vouloir continuer la politique, quel est votre prochain objectif ?

Djordje Kuzmanovic : « Je souhaite être dans une formation qui obéisse à des règles claires donc démocratiques. Je souhaite que ce soit un grand rassemblement du peuple français sur les questions de souveraineté et de justice sociale. »

RT France: « La souveraineté devrait être au cœur des débats pour les élections européennes de mai 2019. Avec ce mouvement des Gilets jaunes, ne pensez-vous pas que cela puisse influencer les élections ? »

Djordje Kuzmanovic : « A l’heure actuelle, je ne sais même pas si les élections européennes se tiendront normalement. On est dans une telle situation de tension qu’il est possible que l’on ait une démission du gouvernement ou qu’Emmanuel Macron soit obligé de révoquer l’Assemblée nationale.

Le mouvement des Gilets jaunes s’accélère, devient considérable. Il y a une très forte mobilisation, c’est de plus en plus tendu. Les lycéens suivent et on voit l’arrestation de 145 lycéens, c’est du jamais vu. Emmanuel Macron fait même monter des blindés sur Paris. Les élections européennes sont devenues pratiquement hors-sol.

Il y a deux semaines, je n’avais pas le même point de vue sur les élections européennes. Sauf que ces dernières semaines, cela s’est tellement accéléré en France… Des porte-paroles de Gilets jaunes en appellent même à marcher sur l’Elysée ! Pendant ce temps, le gouvernement ne recule devant rien et il aura bien du mal à reculer : Emmanuel Macron est l’incarnation du système, du néolibéralisme débridé, imposé par les diktats de la Commission européenne. Un système qui est en faveur des riches et contre le peuple. Là, avec le mouvement des Gilets jaunes, on tend vers une déflagration. Laquelle ? Comment ? Je ne sais pas. Les élections européennes sont donc devenues un sujet secondaire désormais. Si ça se trouve, en France, on aura une dissolution, une destitution, peut-être que l’on aura une Constituante… Allez savoir. »

Propos recueillis par Bastien Gouly

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