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Une étude du prestigieux MIT affirmait que le massacre chimique d’août 2013 a été perpétré depuis une zone rebelle, contredisant les affirmations occidentales.

L’incident était passé relativement inaperçu. Le 4 février 2014, le chef de la diplomatie française Laurent Fabius était invité par l’école de commerce Essec à s’exprimer sur le dossier syrien. Lors de la séance de questions, un jeune homme se présentant comme journaliste indépendant pour l’Agence Info libre interroge le ministre sur un rapport du Massachusetts Institute of Technology (MIT) selon lequel, affirme le journaliste, « Bachar el-Assad ne serait pas à l’origine de l’attaque chimique de la Ghouta », survenue le 21 août dernier dans cette banlieue de Damas, faisant des centaines de morts, dont de nombreux civils.

« Pouvez-vous aujourd’hui devant cette assemblée reconnaître que vous vous êtes trompés sur cette situation et présenter vos excuses ? » demande alors le jeune homme. « Certainement pas », répond Laurent Fabius. L’auditoire s’esclaffe de rire. « Il y a eu une enquête des Nations unies qui ont diligenté beaucoup d’experts et qui ont établi de la façon la plus ferme qu’il y avait eu un massacre chimique (…) qui trouvait son origine dans les gens du régime », souligne le ministre des Affaires étrangères.

« Mensonges » de Fabius

Très vite, la vidéo de la scène se répand comme trainée de poudre sur la Toile, présentée comme la « question qui tue d’un journaliste courageux à Laurent Fabius », accusé de « mentir » sur l’attaque au gaz attribuée à Bachar el-Assad. Ces accusations ne sont pas tout à fait sans fondement. Car si le rapport final de l’ONU sur l’attaque, remis le 12 décembre 2013, confirme l’existence de « preuves flagrantes et convaincantes de l’utilisation d’armes chimiques contre des civils, dont des enfants », dans la région de la Ghouta, il n’accuse nullement le régime syrien, encore moins les rebelles, les inspecteurs onusiens n’étant pas mandatés pour le faire.

Bachar el-Assad est en revanche incriminé par deux synthèses des services de renseignements américains et français, publiées respectivement le 30 août et le 3 septembre 2013, pour ainsi justifier publiquement des frappes occidentales à venir. « La simultanéité de l’attaque, dans des endroits différents, réclame un savoir-faire tactique indéniable que seul le régime syrien possède », assurait Olivier Lepick, spécialiste des armes chimiques à la Fondation pour la recherche stratégique.

Preuves sur Internet

Cette menace crédible d’une intervention militaire en Syrie avait finalement poussé le régime syrien à démanteler son arsenal chimique, à la faveur d’un rocambolesque accord américano-russe, dont la France a été écartée. Or, les conclusions des services de renseignement américain et français sont aujourd’hui remises en cause par le rapport du MIT. Celui-là même sur lequel s’appuie le journaliste indépendant cité plus haut.

Rédigé par Richard Lloyd, ancien inspecteur de l’ONU spécialiste des missiles, et Theodore Postol, professeur au MIT, le document de 23 pages affirme que les attaques chimiques ont tout simplement été lancées depuis une zone tenue par les rebelles syriens. Pour étayer leurs propos, les deux experts américains ont étudié des « centaines » de photos et des vidéos d’ogive, de restes de roquettes, d’impacts sur le sol, et de barils contenant le gaz sarin, publiées sur Internet.

Approximations américaines

« Ces sources proviennent d’Internet, mais nous nous sommes ensuite livrés à une analyse physique interne qui nous a permis d’établir le volume de gaz sarin utilisé, la portée des missiles, leur direction ainsi que l’endroit d’où ils ont été tirés », explique le Docteur George Stejic, directeur des laboratoires Tesla, qui emploient Richard Lloyd. Première conclusion, « contrairement aux dires du rapport américain, les impacts ont été confinés à une zone bien plus réduite du nord de la Ghouta », affirme le chercheur.

Seconde conclusion, sûrement la plus importante, les roquettes tirées avaient toutes les caractéristiques de missiles de type Grad, de courte portée, sur lesquels étaient fixés les barils de gaz. « Après l’étude du poids des barils, de la géométrie des têtes et des caractéristiques des lanceurs, nous avons conclu à une portée de 2 kilomètres », souligne le chercheur. Une conclusion que François Géré (1), directeur de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas), juge « crédible », d’autant plus qu’elle est évoquée par le rapport final de l’ONU sur l’attaque de la Ghouta.

Une « bonne estimation » (ONU)

« Le missile Grad est connu comme étant une arme bas de gamme, possédant une portée de 2 à 5 kilomètres avec des armes conventionnelles, et dont l’imprécision est assez importante, ce qui expliquerait les nombreuses pertes civiles de la Ghouta », affirme le chercheur. Les deux kilomètres de portée, avancés par le rapport du MIT, ont été jugés comme une « bonne estimation » par Ake Sellström, l’inspecteur en chef de l’ONU en Syrie, après la remise du rapport de l’ONU en décembre dernier.

Ce chiffre est capital. Car il remet totalement en question le rapport américain, sur lequel s’est basé le 30 août le secrétaire d’État John Kerry, qui affirme que les roquettes ont été tirées depuis le « coeur » du territoire contrôlé par le régime à Damas. « C’est tout simplement impossible, affirme le Docteur George Stejic, la position la plus proche du régime se trouvant à quelque 10 kilomètres des impacts. »

« Difficile à vérifier » (expert)

Pour déterminer ces distances, les deux experts américains se sont basés sur les mêmes cartes de Damas fournies le 30 août par le renseignement américain pour accuser le régime.

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Carte rendue publique par la Maison-Blanche le 30 août 2013, sur laquelle s'est basé John Kerry pour accuser Damas de l'attaque de la Ghouta (© White House) : © © White House
Carte rendue publique par la Maison-Blanche le 30 août 2013, sur laquelle s’est basé John Kerry pour accuser Damas de l’attaque de la Ghouta (© White House) : © © White House

« Nous pouvons aujourd’hui affirmer à 100 % que tout point à deux kilomètres des impacts se situe en territoire rebelle. Mais cela ne signifie pas obligatoirement que ce sont les rebelles qui ont tiré. » En effet, comme le rappelle François Géré, il est probable que le régime ait avancé ses vecteurs de lancement au plus près des positions adverses, pour réduire le temps de passage au-dessus de ses propres troupes et ainsi diminuer les risques de bavure. Le spécialiste du chimique Olivier Lepick abonde dans le même sens, ajoutant que des roquettes peuvent tout à fait être déplacées en territoire rebelle grâce à des véhicules tout-terrains.

Toutefois, cet expert se montre assez circonspect sur les conclusions du rapport du MIT, bien qu’il salue la démarche de ses auteurs. « Ce rapport repose sur beaucoup d’hypothèses très difficiles à vérifier d’un point de vue technique, telles que la portée des missiles, la distance qu’ils ont parcourue et le calcul des charges de propulsion », pointe Olivier Lepick. « Tous ces paramètres ne permettent pas d’établir de conclusions catégoriques. »

Chercheurs « expérimentés et crédibles »

« Notre institut et ses chercheurs ont toute l’expertise nécessaire pour analyser ces roquettes et les comparer aux mêmes modèles utilisés au cours des soixante dernières années », répond le Docteur George Stejic, qui rappelle que les laboratoires Tesla ont pour habitude de travailler pour le gouvernement américain et la Navy, et que Richard Lloyd a dernièrement travaillé sur le bouclier anti-missile israélien Iron Dome, ou sur les attentats de Boston.

« Richard Lloyd et Theodore Postol sont des experts très sérieux et expérimentés, tout à fait crédibles », souligne François Géré. « Postol est connu pour être un libéral américain contestataire, qui a mis la science au service de sa lutte depuis l’époque Reagan. » Sauf qu’à la différence des inspecteurs de l’ONU, les deux experts ne se sont pas rendus en Syrie, se basant ainsi sur des documents de seconde, si ce n’est de troisième main.

Silence de l’ONU

« Clairement, nous aurions eu de bien meilleures données si nous avions pu nous rendre sur le terrain », admet volontiers le Docteur Stejic. « Mais je peux affirmer que, si nous avons malgré tout réussi à apporter des conclusions probantes, l’ONU a la capacité de révéler précisément la portée des roquettes, d’où elles venaient et qui en est l’auteur. Or, ceci ne figure pas dans le rapport. Pourquoi ? Contactées par nos soins, les Nations unies rappellent que « toutes les infos dont (elles) disposent figurent dans le rapport écrit par l’équipe d’Ake Sellstrom. » En revanche, l’ONU ne souhaite pas commenter le rapport du MIT.

Une chose est sûre, contrairement aux dires du journaliste qui a interpellé Laurent Fabius à l’Essec, le rapport du MIT ne disculpe pas Bachar el-Assad. Mais il contredit formellement les rapports des renseignements américains et français, qui accusent le président syrien du massacre chimique du 21 août 2013. « Ces renseignements frauduleux auraient pu mener à une action militaire américaine injustifiée basée sur de fausses informations », souligne ainsi le document.

« Ce ne sont pas de faux renseignements », réplique François Géré. « Les conclusions des services ne sont pas formelles à 100 %, quant à celles de l’ONU, elles sont beaucoup plus prudentes. Tout le reste est de la politique », poursuit le chercheur, qui rappelle qu’il existe, étant donné le savoir-faire requis pour lancer des armes chimiques, « 98 % de chances pour que le régime syrien soit l’auteur de l’attaque, bien qu’il ne faille pas négliger les 2 % restants ». Il n’empêche, après le scandale sur les fausses armes de destructions massives en Irak, ce rapport pourrait à nouveau plonger dans l’embarras l’administration américaine, et faire le jeu des partisans de Bachar el-Assad.

Publié le | Le Point.fr

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