On connaît William S. Lind comme le théoricien le plus affirmée de la Guerre de Quatrième Génération (G4G) engageant des acteurs non-étatiques contre des États souverains, légitimes et structurés. Après avoir été très prolifique, Lind a ralenti ses activités de commentateurs au profit d’activités plus méditatives mais il garde une tribune sur le site Trditionnalist.com, sous le titre de The View from Olympus. (Ces divers titres traduisent bien les vues politiques peu conventionnelles et très maurrassiennes de Lind qui tient que la meilleure forme de gouvernement est celle d’une royauté héréditaire, notamment à l’image de ce que fut le système français d’avant la Révolution.)
Dans sa tribune du 23 mai 2018, on lit comment William S. Lind perçoit la décision majeure du président Trump de sortir du traité JCPOA avec l’Iran. Bien qu’il veuille garder un jugement équitable et envisage aussi bien un succès qu’un échec de la manœuvre, on distingue aisément derrière l’ironie froide et le sarcasme flegmatique qu’il n’accorde guère de chance de réussite aux actuelles expéditions trumpistes (l’affaire iranienne en premier lieu puisqu’elle est le sujet de la chronique, mais l’affaire nord-coréenne aussi bien, – Lind n’était bien entendu pas informé au moment de son travail des allers-retours de ces derniers jours.)
On voit bien que, pour Lind, l’affaire iranienne a de fortes (mal)chances de déboucher sur un conflit et il évoque alors la principale menace à laquelle se trouveraient confrontés les USA. Il avait longuement évoqué ce risque militaire considérable pour les USA durant les années 2006-2008, lorsqu’on avait connu une période de fortes tensions avec l’Iran, et alors qu’un conflit avec les USA était très envisageable. Selon lui, un conflit entre l’Iran et les USA ne se limiterait certainement pas à la séquence de l’offensive aérienne que favorise le Pentagone mais aurait un aspect naval et surtout, sur le terme, un aspect terrestre. Lind estime que l’Iran pourrait prendre “en otages” toutes les forces terrestres US se trouvant en Irak et en Syrie, et sans doute aussi en Afghanistan, dans ces pays où l’Iran est soit très bien implanté, soit dispose d’alliés et de relais très sûrs.
Bien entendu, pour Lind, l’option de la possibilité d’un régime change à Téhéran à laquelle travaillent les USA pour éviter un conflit coûteux et incertain conduirait très probablement à une catastrophe complètement conforme à l’évolution structurelle de la G4G, comme cela fut le cas le Libye et comme cela serait le cas en Syrie en cas de chute d’Assad. Un changement de régime tournerait à la formule G4G, avec la prise de contrôle par des “acteurs non étatiques” et l’effondrement dans le chaos de ce pays d’une importance stratégique énorme pour la région. Les conséquences seraient considérables dans toute la région, touchant bien entendu la Syrie, mais aussi l’Arabie, la Turquie, etc., et sans doute bien Israël, l’inspirateur de l’attaque lui-même. C’est en ce sens qu’on peut considérer les possibilités de déstabilisation ou d’attaque de l’Iran comme un programme de pure paranoïa, conçu par des acteurs qui ne disposent plus de leur équilibre psychologique et qui vivent dans une désinformation volontairement structurée par le Système.
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Une décision désastreuse, – ou pas ?
À première vue, la décision du président Trump d’abandonner l’accord nucléaire avec l’Iran est un désastre. Si l’Iran considère l’accord comme nul et non avenu sans participation américaine et reprend l’enrichissement de l’uranium à grande échelle – Téhéran pour l’instant dit qu’il s’en tiendra à l’accord – nous serons sur la voie d’une nouvelle guerre inutile au Moyen-Orient. Le président Trump a été élu pour nous sortir des guerres dans lesquelles nous sommes et ne pas en créer de nouvelles.
Parallèlement, de nouvelles sanctions économiques américaines contre l’Iran nous mettent sur la voie d’une confronttion avec l’ Europe. L’Europe permettra-t-elle à Washington de dicter ses lois aux entreprises européennes et aux banques avec lesquelles elles peuvent faire des affaires ? Sinon, les sanctions américaines contre les entreprises européennes pourraient être sanctionnées par des sanctions européennes contre les entreprises américaines. L’Europe, la Chine et la Russie ont déjà dit qu’elles continueraient à honorer l’accord, ce qui laisse les États-Unis diplomatiquement isolés. Cela revient à coupler le désaccord diplomatique et l’isolement économie, et nous aurons alors un problème.
Certains partisans de l’action du président Trump espèrent que les dommages qu’il apportera à l’économie iranienne pourraient pousser le peuple iranien à se révolter et à renverser le régime clérical. C’est une possibilité, bien qu’en général on ait plutôt tendance à se regrouper autour de la défense de l’indépendance nationale face à des pressions extérieures. Il est néanmoins possible que, face à une révolte généralisée, l’État iranien en arrive à s’effondrer. Ce serait un résultat désastreux pour toutes les parties concernées, parce que ce serait une grande victoire pour les entités de guerre de la quatrième génération (G4G) qui combleraient le vide créé par un nouvelle entreprise de déstructuration d’un État facilité par les États-Unis. Si Washington comprenait la G4G – ce qui n’est pas le cas – il réaliserait que l’effondrement de l’État iranien est un danger bien plus grand que celui que cet État peut poser.
Mais il y a une autre façon de considérer l’action du président Trump. En Corée du Nord et sur certaines questions commerciales, il a obtenu de bons résultats en utilisant une technique commerciale standard: lancer des exigences maximalistes, des menaces, etc., puis reculer au dernier moment pour obtenir un accord. En diplomatie, cela s’appelle côtoyer l’abysse. Vous poussez une situation au bord du désastre, puis vous sortez un lapin de votre chapeau sous la forme d’une proposition d’accord qui laisse tout le monde satisfait et la situation plus stable qu’auparavant.
Si c’est le jeu ici – je n’ai aucun moyen de le savoir – alors l’action du président n’est certes pas un désastre. Mais c’est toujours un risque élevé. La manœuvre peut avoir été coordonnée avec les Européens à l’avance, auquel cas tout le monde suit un script. Encore une fois, cela pourrait conduire à un accord renouvelé et amélioré avec l’Iran. Mais si ce n’est pas le cas et que notre isolement diplomatique est réel, les risques augmentent. Et si l’Iran y répond en abandonnant l’accord et en se lançant dans la production de la bombe, encore une fois nous sommes face à une autre guerre inutile. Dans cette guerre, toutes les troupes américaines en Syrie et en Irak et peut-être aussi en Afghanistan deviendront des otages iraniens. Qu’est-ce qu’on ferait alors, Monsieur le Président ?
La stratégie du président Trump avec la Corée du Nord semble avoir bien fonctionné, du moins jusqu’à présent. S’il sort de son sommet avec Kim Jong-Un avec un accord qui dénucléarise la Corée du Nord, termine la guerre de Corée avec un traité de paix formel, permet et aide la Corée du Nord à rejoindre l’économie mondiale et retire les troupes américaines de la Corée du Sud, Mr. Trump mériterait en effet, avec Mr. Kim et Mr. Moon, le Prix Nobel de la paix. S’il pouvait capitaliser sur ce modèle en concluant un accord similaire avec Téhéran, permettant à l’Iran d’améliorer son économie tout en réduisant ses importantes avancées militaires et diplomatiques régionales, il serait au moins candidat à la canonisation. Le président ou quelqu’un d’autre a-t-il pensé à tout cela ? Dieu seul le sait. Et moi, je ne suis pas sûr qu’il nous prête toute son attention.
William S. Lin