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Le Pentagone et le fantôme de Soleimani

Au tout début de cette année, nous avions nommé l’assassinat du chef des Gardiens de la Révolution, le général Soleimani, « Un assassinat métahistorique ». Cet événement énorme entraîna des conséquences importantes avec la riposte iranienne, qui fut très vite jugée significative, puis très-significative. Ensuite et rapidement, tout cela se perdit dans une sorte de brouillard d’un nouveau type ; jusqu’ici on parlait du ‘fog of war’, et cette fois ce fut le ‘fog of crisis’ qui eut raison du premier. D’une façon générale, avec Covid-19 et les présidentielles US passant en mode-turbo jusqu’à l’hystérisation de la mort de George Floyd, on oublia l’« assassinat métahistorique », – sauf l’Iran et sauf le Pentagone.

… Surtout le Pentagone, semble-t-il. Central Command, le grand commandement opérationnel qui couvre la zone, est en alerte maximale pour le premier anniversaire de la mort de Soleimani. Divers forces militaires US supplémentaires paradent donc dans la zone pour faire comprendre aux Iraniens que le Pentagone est très-très fort. Il y a bien sûr, également, l’assassinat en Iran, le mois dernier, avec implication israélienne et US, de Mohsen Fakhrizadeh, un scientifique de haut niveau qui aurait dirigé le programme nucléaire iranien. L’ensemble fait une facture salée qui pourrait conduire l’Iran à certaines actions inamicales, crainte le Pentagone qui s’interroge toujours sur les causes de cette inimitié.

RT.com nous donne un article succinct sur les mesures prises par les USA (et Israël), dans cette période de nième ‘grande tension’.

« Un sous-marin américain à propulsion nucléaire est passé par le détroit d’Ormuz et a pénétré dans le golfe Persique, ce qui semble constituer une menace pour l’Iran, tandis qu’un sous-marin israélien aurait fait une excursion similaire en mer Rouge.
Le USS Georgia (SSGN-729) est un sous-marin à propulsion nucléaire de classe Ohio qui transporte, non pas des ogives nucléaires balistiques, mais jusqu’à 154 missiles de croisière Tomahawk – ou jusqu’à 66 membres des opérations spéciales, a souligné la Navy lundi, annonçant le passage du bateau dans le ‘golfe Arabique’, comme les États-Unis appellent cette zone.
Le Georgia était escorté par les croiseurs lance-missiles guidés USS Port Royal (CG 73) et USS Philippine Sea (CG 58), et a effectué le transit dimanche, a annoncé la Navy un jour plus tard. C’est seulement la deuxième incursion de ce type en huit ans.
Suite à cette annonce, le commentateur-radio israélien Kan a rapporté lundi soir qu’un des sous-marins israéliens avait transité par le canal de Suez la semaine dernière, avec l’approbation de l’Égypte. Cependant, le rapport Kan cite des “sources de renseignements arabes” alors que les forces de défense israéliennes ont officiellement refusé de commenter.
Les manifestations navales font suite à l’assassinat, le mois dernier, de Mohsen Fakhrizadeh, un scientifique de haut niveau qui aurait dirigé le programme nucléaire iranien. Téhéran a rendu Israël responsable de cet assassinat.
Le commandant du Commandement central américain (CENTCOM), le général Kenneth McKenzie, est actuellement en visite au Moyen-Orient, bien que son parcours exact n’ait pas été révélé. Au début de ce mois, les Etats-Unis ont envoyé deux bombardiers à capacité nucléaire dans la région dans un autre ‘message’ à Téhéran, citant des rapports non spécifiés d’une menace potentielle d’attaques par des milices soutenues par l’Iran.
Le détroit d’Ormuz est fortement patrouillé par les navires du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) iranien, ce qui a conduit à des impasses avec les forces navales américaines opérant dans la région par le passé. L’anniversaire de l’attaque de drones américains qui a tué le général Qassem Soleimani, commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique, près de Bagdad en janvier, approche également à grands pas. »

Il est déroutant de voir le Pentagone (avec les Israéliens) lancer quelques puissants navires et avions menaçants, pour menacer l’Iran après avoir assassiné un haut responsable scientifique iranien, et cela bientôt un an après avoir assassiné Soleimani. Cette impudence qui est la marque de fabrique de ces acteurs si proches l’un de l’autre (USA et Israël), n’est certainement pas une marque de puissance. Tout au contraire, c’est la marque d’une très grande crainte, dont on trouve un signe, par exemple, dans ce tweet assez étrange somme toute, de Central Command nous rassurant en nous affirmant que des missiles sol-air Patriot sont déployés dans la base Ali Al Salem, au Koweït (pourquoi pas un tweet nous affirmant que les fusils M16 des sentinelles de cette base sont chargés à balles réelles ?) :

« #Patriot missiles protect @USAFCENT #Airmen and @usarmycentral #Soldiers at Ali Al Salem Air Base, #Kuwait #ProtectOurTroops. » (Curieusement, avec le hashtag #Patriot renvoyant à des groupements de la droite nationaliste pro-Trump, et non au missile de Raytheon…)

Bien, ne faisons pas la bête : le tweet, qui concerne bien les missiles sol-air, veut rassurer ceux qui se souviennent que les bases US en Irak attaquées par les Iraniens en janvier, en riposte à l’assassinat de Soleimani, était dépourvues de défenses anti-aériennes et antimissiles, et notamment de ces fameux Patriot dont la caractéristique principale est de régulièrement rater ses cibles. En effet, la chose avait été une des révélations spectaculaires accompagnant les tirs iraniens ; et Central Command se réveille brusquement à une possible menace de tirs iraniens, dans une période où les événements et les symboles y invitent fortement.

De fait, il existe aujourd’hui une grande inquiétude confinant parfois à la panique au Pentagone et en Israël, à propos de la capacité des Iraniens, tout autant que les groupes qu’ils soutiennent et équipent (principalement les Houtis au Yemen et le Hezbollah au Liban). Cette panique concerne essentiellement les drones, dont les USA et Israël ont été parmi les premiers fabricants et certainement les premiers utilisateurs sur une échelle quasiment industrielle (le drone a été l’instrument favori d’Obama-Saint pour les assassinats à distance, ce pourquoi sans doute il a été canonisé). Les Israéliens ont également été parmi les premiers a être des utilisateurs compétents et sans la moindre réserve des drones. Ces deux utilisateurs  ‘de luxe’ apprécient la précision des tirs (même et surtout sur des cibles mauvaises ou erronées) qui permet de faire proprement les assassinats, la discrétion de l’approche, et l’absence de risque humain (sauf, semble-t-il, pour les manipulateurs à distance les plus vulnérables psychologiquement, qui semblent subir des traumatismes psychologiques en raison de cette sorte de ‘travail’).

Mais il se trouve que d’autres pays, d’habitude considérés comme ‘barbares’, produisent et utilisent désormais des drones. Il y a effectivement l’Iran et aussi, on a pu le voir en Syrie et indirectement en Arménie, la Turquie. Les Houthis ont réalisé d’excellentes performances contre l’Arabie, avec l’a     ide massive de drones. Le Hezbollah est réputé pour avoir une flotte considérable de drones (plusieurs milliers) et l’armée israélienne estime que, s’il y a une prochaine guerre avec le Hezbollah, ce sera une guerre de drones et le Hezbollah pénétrera sûrement, par endroits, dans le territoire israélien.

Bien entendu, le plus grand danger, pour les Américano-israéliens, c’est l’Iran. Le Pentagone a été stupéfait par la précision des tirs iraniens de janvier de cette année, et il peut supposer à bon escient que les drones iraniens, éventuellement aussi des missiles de croisière, auraient les mêmes capacités.  Le paradoxe est alors que la puissance impérialiste US, sa puissance de contrôle globale, qui se fait essentiellement par un formidable ensemble de plus de 1 000 bases dans le monde, dont un nombre conséquent dans la région du Moyen-Orient et à portée de tir de l’Iran. Mieux encore, ou pire, le renseignement US, qui travaille selon les préjugés habituels concernant des pays comme l’Iran (barbares, retardés, etc.), n’a pas réellement évalué les capacités de l’Iran ; du moins, ces services ne sont pas assuré de la justesse de leurs évaluations, et la crainte paniquarde est que l’Iran puisse attaquer et faire de gros dégâts dans des bases US, – en général très grande, avec beaucoup de matériels et pas mal de gens, comme aiment à s’étendre les USA et leurs bonnes manières.

Le Pentagone est donc engagé dans une étrange mission : étudier, en théorie et sur le terrain, la possibilité de l’éclatement de ces grandes bases en plusieurs petites bases qu’on éparpillerait à l’intérieur du même pays-hôte constituant ainsi une bien meilleure défense qu’avec les Patriot, les missiles de défense anti-aériens rateurs de cibles. Le plus savoureux de cette aventure est que la bureaucratie du Pentagone qui étudie ces projets ajoute que, bien entendu, la construction de ces bases nécessitera un fort contingent de matériels et d’hommes pour les travaux, et chaque ‘petite’ base devant ainsi recevoir toute la logistique nécessaire, celle qui se trouve dans les grandes bases et qui fait en général pour partie la cause que ces bases, justement, sont ‘grandes’… D’où la possibilité que ces bases, pour être ‘petites’, doivent tout de même être assez grandes’.

Ce qui est remarquable dans cet exercice absolument bouffe, c’est qu’il est directement imposé par les déformations systémiques des évaluations américanistes, faites au nom de l’américanisme, selon l’idée de l’exceptionnalité de l’Amérique. Un pays comme l’Iran ne peut rien prétendre à cet égard, on le sait depuis longtemps. Pourtant, on en a une peur bleue parce que, bien que ne pouvant rien prétendre en terme de réalisations sophistiquées pouvant inquiéter le Pentagone, comme l’affirme le règlement du Pentagone, il réalise des choses qui effraient considérablement le Pentagone. Chacun sa postvérité...

DDE

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